C’est le triomphe d’une sensiblerie qui déborde toujours plus de son cadre privé pour engluer tout ce qu’elle trouve sur son passage.
La fascination pour le sourire des enfants plutôt que pour la beauté des rides des vieux. L’émotion d’un prêche qui se méprend sur l’ordre mondial en préconisant la paix ou le défilé solidaire qui ne trouve pas d’écho dans le silence. Exhibition chronique de sentiments qui a ligoté et jeté la pudeur au fond d’une cave.
Pinacle mensuel du ras de marée, l’exhibition d’un amour – surdosé de romantisme écoeurant – censé lier le couple. Son trop-plein sera sanctionné en fin de journée par les caisses enregistreuses et par la somme de mots dégoulinants sur les places publiques. Rien ne semble arrêter cette déferlante au point que ses remous font aussi l’objet d’étalage public: des plaies qui ne peuvent cicatriser qu’au contact des regards compatissants qui avaient pourtant soupiré à l’éclosion de la fleur.
Mais après la digestion de l’avalanche sucrée, il reste aussi une patine acide, l’exhibition appelant sa dose de voyeurisme. Saturé, le regard cherche à s’abreuver sous la ceinture. Avec l’excès massif de glucose, et le diabète conséquent, la vue troublée confond le privé et le public.
Le cas de Mark Muller illustre la question. Un nombre incalculable de palabres consommées après que le ministre genevois a été accusé par un employé d’une boîte genevoise de l’avoir agressé. Le conseiller d’État a nié. Parole à la justice, une affaire qui aurait pu sortir de manière définitive du cadre privé si Mark Muller avait été condamné. Avec en prime, une dose de voyeurisme exacerbé et un boucan du tonnerre: que faisait le ministre dans le fameux local?
Enfin la volte-face. Mark Muller a admis qu’il avait agressé l’employé. Il a payé un dédommagement et la procédure judiciaire est close. Fin de l’histoire?
Plutôt le début. Car si ce qui est arrivé derrière la porte du lieu d’aisance regarde la vie privée de Mark Muller, en revanche le fait qu’il ait menti et payé pour clore la procédure relève du débat public. Mark Muller gérait un dossier concernant l’employeur de la personne qu’il avait agressée. Un dossier passé entre-temps dans les mains du président du Conseil d’État genevois, Pierre-François Unger.
Dans n’importe quelle petite ville des États-Unis, le politicien Mark Muller aurait été invité à démissionner, tandis que sous nos latitudes c’est le silence.
Gageons en cette Saint-Valentin que plusieurs personnalités vont nous montrer la cravate offerte, la carte du dîner prévu en amoureux ou la beauté de l’appartement où se consommera leur nuit de la Saint-Valentin. La chose publique restera enfermée quelque part à la cave, en compagnie de la pudeur.
Article paru dans « Un ristretto«