La Hongrie, laboratoire du pire… mais pourquoi pas du meilleur?


Depuis début janvier, on a assisté à une véritable déferlante médiatique anti-Orban dans les médias occidentaux, en particulier en France. Avec beaucoup d’approximations, d’erreurs factuelles et d’analyses, tout y est passé : une nouvelle dictature en Europe, un énième « retour aux heures les plus sombres de l’histoire », des insinuations de fascisme, d’antisémitisme et même – à travers une caricature de Plantu dans le Monde – un parallèle entre Hitler et Orban !

Toutes ces exagérations ont eu lieu alors que « Ubu roi de Hongrie », comme il a été surnommé dans « Libération », osait défier le FMI, la finance internationale, l’Union Européenne et un dogme néo-libéral en remettant en cause l’indépendance de la banque centrale de Hongrie.

Intoxiqué par tout cet emballement, plusieurs observateurs, chroniqueurs et hommes politiques ont eux aussi dérapé. On ne reviendra pas sur les gesticulations de Dany le vert au parlement européen, ni sur son discours clamant que des intellectuels, des personnes de sa famille et des personnes juives ont peur dans la Hongrie de Viktor Orban… faisant ainsi le beurre d’une extrême-droite hongroise ouvertement antisémite…

Depuis, Viktor Orban est rentré (temporairement ?) dans le rang, et les discussions avec le FMI et les instances européennes reprennent. De plus, le Forint remonte. Les marchés financiers sont rassurés… Orban n’est plus diabolisé…

Cette campagne d’attaques comme le régime Orban a été perçu par beaucoup de Hongrois, même parmi ses opposants, comme insultante.

Ce week-end, « Le Monde » s’est rattrapé, à travers une série d’articles de fond et d’interviews beaucoup plus nuancés. Joëlle Stolz, piégée par Hir TV quelques semaines plus tôt (elle n’avait pas su répondre à des questions techniques sur des réformes qu’elle avait pourtant vivement critiquées !), a signé un reportage très juste expliquant le vote Jobbik (le parti parlementaire d’extrême-droite), comme un geste désespéré de personnes plongées dans la misère et confrontées à d’autres personnes dans une misère encore plus grande, les Tsiganes.

La réalité de la Hongrie d’aujourd’hui, c’est celle d’un pays au bord du gouffre. Début février, la compagnie aérienne historique de la Hongrie, la Malév, était contrainte de laisser ses avions au sol. Depuis des mois, la mairie de Budapest tente désespérément  de sauver d’une mort annoncée son entreprise de transport en commun, la BKV. La semaine dernière, elle a décidé de réduire de 10% le budget de ses écoles pour sauver ce qui peut encore l’être. Un peu partout en Hongrie, des écoles restent portes closes, faute de chauffage. Plusieurs maires de municipalités du département de Borsod – la région la plus pauvre, située au nord-est du pays – se sont lancés dans une marche désespérée, malgré le froid, vers la capitale pour réclamer l’aide de l’Etat. De nouveaux licenciements massifs sont annoncés chaque jour : à la télévision, à l’Opéra, dans les ministères, les hôpitaux, les grandes entreprises comme chez Nokia, même dans l’armée, et bientôt dans les universités, etc.

Mais, force est de reconnaître que ces tragédies, que l’on retrouve un peu partout en Europe, n’émeuvent pas grand monde, ni au FMI, ni à la Commission européenne. Bien au contraire. En Grèce par exemple, le couple Sarkozy-Merkel demande encore plus d’austérité alors que son peuple est déjà à bout. En Roumanie, après de multiples plans d’austérité mis en place depuis plusieurs années, la rue vient de faire tomber le gouvernement et fait appel à plus de démocratie… L’Europe les rappelle à l’ordre… et réclame encore plus de rigueur !

De même, l’Europe ne s’indigne plus des dérives autocratiques du gouvernement Orban – bien réelles, mais bien loin des exagérations lues ici et là au début de l’année – qui continuent. Mais pourquoi s’offusquer puisque l’indépendance de la banque centrale hongroise n’est plus menacée ! L’Europe a même applaudi lorsque Orban a ratifié un nouveau traité européen remettant encore plus en question la souveraineté économique et offrant des compétences supplémentaires à la Commission européenne, ainsi qu’à la Banque Centrale Européenne, pour directement intervenir en cas de « manque de discipline budgétaire » !

Dormez tranquille, Orban semble rentrer dans le rang, les institutions financières et l’oligarchie sont protégées, l’austérité et la misère font leur chemin, on déroule le tapis rouge à l’extrême-droite !

En mai dernier, j’écrivais une tribune sur la stratégie de développement rural proposé et défendu, entre autres, par Angyan Jozsef, Secrétaire d’état au développement rural. En voici quelques extraits, remis à jour :

« Il se passe aussi des choses très intéressantes chez nos amis magyars. Outre les différents projets, initiatives, résistances, solidarités que l’on peut voir émerger ici ou là, je souhaiterais parler d’une stratégie à long terme, innovante et ambitieuse, sans équivalent en Europe, et apportant un grand nombre de solutions à cette convergence de crises: crises économique, sociale, politique, environnementale… à laquelle fait face la Hongrie (et toute l’Europe de manière générale).

Au sein du Ministère du développement rural, certains membres du gouvernement Fidesz proposent une stratégie pour les 10 prochaines années en Hongrie. Cette stratégie est tout à fait visionnaire et pourrait servir de modèle à suivre pour initier une transition permettant de sortir de l’impasse dans laquelle nous amène toujours plus vite la société de croissance. Ainsi, ce document propose un véritable projet de relocalisation des économies à travers la mise en place d’une agriculture paysanne de proximité, une revitalisation des campagnes et la création d’emplois locaux « verts » et soutenables, afin de tendre vers une souveraineté alimentaire.

Une consultation citoyenne a ainsi été mise en place en mai dernier [2011, ndlr] avec plusieurs rencontres un peu partout dans le pays. Par contre ce projet, qui va l’encontre du dogme « croissanciste » et « développementiste », et donc des multinationales de l’agro-alimentaire, risque de se heurter à une forte résistance de la part des lobbies, en particulier des grands propriétaires terriens, eux aussi bien présents au sein de la Fidesz.

Ce projet de transition visionnaire et ambitieux, en rupture avec ce que promeut Bruxelles et surtout le dogme productiviste est une véritable bouffée d’air pur dans un paysage politique déprimant. De plus, cette stratégie à travers sa dimension sociale, la revitalisation des campagnes et la création d’emplois et de productions soutenables locaux, est une vraie chance pour faire sortir de la misère des régions entières, en particulier dans l’est du pays et par là même d’atténuer les tensions interethniques. Si cette stratégie est mise en place, la Hongrie pourrait devenir un modèle européen, qui plus est dans le cadre des discussions sur la Politique Agricole Commune qui doit être votée prochainement, de politique de transition vers une souveraineté alimentaire à long terme. Par contre, passer à côté d’une telle opportunité, signifierait une dégradation majeure de la situation économique et sociale déjà très inquiétante.»

Depuis, le projet a été présenté à Orban, qui l’a encensé. C’était il y a trois semaines. Deux jours plus tard, on apprenait le licenciement de 60 personnes travaillant au sein du Ministère du Développement Rural, certaines d’entre elles liées à cette stratégie. Angyan Jozsef, le père de cette stratégie, a donc annoncé sa démission. Malgré une lettre ouverte signée par 400 ONG lui demandant de la refuser, Orban l’a acceptée. Il semblerait que le lobby des grands propriétaires terriens ait repris le dessus…

Comme je l’écrivais dans ma précédente chronique, la Hongrie est un laboratoire européen, pour l’instant du pire. Mais pourquoi ne pas espérer qu’elle devienne le laboratoire d’une transition économique, sociale, écologique et démocratique réussie ? Cette stratégie de développement rural, soutenue par une partie de la Fidesz, par le jeune parti écologiste LMP, par Jobbik (pas que pour de bonnes raisons !) et aussi un grand nombre d’acteurs de la société civile, pourrait représenter un véritable espoir, surtout pour toutes ces populations abandonnées des campagnes.

Mais cela semble malheureusement peu probable, et même si cette stratégie était appliquée, est-ce que cette Europe incapable de penser plus loin que le sauvetage du système financier qui n’en finit plus de sombrer, laisserait la Hongrie choisir sa propre voie ?

L’auteur est doctorant à l’Université d’économie de Budapest

Article paru dans “Hu-lala

 

 

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Un commentaire à “La Hongrie, laboratoire du pire… mais pourquoi pas du meilleur?”

  1. Artémis 17 février 2012 at 14:50 #

    “La presse représente une puissance considérable; mais, de même qu’un fleuve déchaîné submerge des campagnes entières et ravage les récoltes, de même une plume sans contrôle ne peut que tout détruire.” Gandhi en savait quelque chose lorsqu’il a écrit ces lignes, lui qui prônait l’exemple pour défendre l’agriculture et l’artisanat en Inde. Les choses n’ont pas beaucoup changé en une centaine d’années!

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