Les écarts de salaires dans l’actualité


François Hollande a promis d’instaurer des salaires maximaux dans les entreprises dépendant de l’Etat. Une innovation attendue avec impatience.

PAR PIERRE KOLB

L’attente ne devrait pas être trop longue d’après le calendrier joint au programme électoral: il pourrait suffire d’un décret à la fin mai, d’où dépendront d’importantes modalités, s’agissant notamment des rémunérations variables. La norme qu’avait posée le candidat est un écart maximal de un à 20 entre le plus bas et le plus haut salaire. Cela restera une marge importante, et n’inquiétera pas une partie des grands patrons – on cite volontiers le patron de la SNCF qui devrait aujourd’hui déjà se «contenter» de dix fois le salaire minimum de la Régie. En revanche on évoque le cas du sarkoziste Henri Proglio qui, à la tête d’EDF, a encaissé l’an dernier un million 560 mille euros, soit quatre fois le plafond prévu.

Au fait, peut-on objectivement définir un écart acceptable entre les plus hauts et les plus bas salaires, en général? On pourrait tout aussi bien considérer qu’aucun écart de salaire n’est acceptable pour un même temps de travail, mais c’est pour le moins théorique. On pourrait aussi partir du fait que des critères objectifs étant indispensables à la fixation de tout salaire, le critère bien connu de la pénibilité devrait être considéré en priorité, et que cette seule démarche aboutirait à réduire les écarts: la pénibilité d’une femme de ménage et la pénibilité d’un banquier, il n’y a pas photo.

Un des critères les plus souvent invoqués dans la fixation des salaires est le niveau de formation, mais même en la matière, il existe des disparités gigantesques pour les mêmes diplômes, selon les activités. Toute approche du problème mène de fait à conclure que malgré l’intervention de critères, l’arbitraire règne, dans notre société, en matière de salaires.

L’arbitraire, et l’injustice. On a mentionné le peu de prise en compte de la pénibilité. On ne sait que trop les immenses disparités de pouvoir d’achat entre salariés des cinq continents.

Ajoutons que les soubresauts du capitalisme financier ont actualisé le problème de sinistre manière, vu les rémunérations des traders, que la crise de 2008 n’a pas calmé. Mais auparavant, les rémunérations de patrons de grands groupes étaient déjà scandaleuses.

Si modeste soit-elle dans sa portée, la mesure du président Hollande représenterait un saut qualitatif dans une politique de maîtrise de la distribution des richesses.

Nul doute que l’étape du salaire minimum garanti, qui n’a même pas été formellement franchie sur l’ensemble de la Suisse, a été un progrès sur le plan de la mise en place d’un «filet social». Elle n’a cependant pas pu empêcher, et a peut-être favorisé, les envolées folles des hauts salaires des dernières années. Seule l’exigence d’un plafonnement, sous forme de la définition d’un écart maximal, peut conférer un caractère quasi irréversible aux améliorations salariales. Ce n’est pas pour rien qu’une telle réforme, pourtant assez simple, a toujours été esquivée. Elle sera limitée, dans le cas français, aux entreprises publiques contrôlées par l’Etat, qui tentera aussi d’entrer en matière au niveau des firmes dans lesquelles l’Etat à des participations. Ce doit donc être un levier de politique sociale, dont on attend la mise en oeuvre avec impatience.

Particulièrement en Suisse où le débat sur les écarts de salaires est abordé de plusieurs parts, la droite ne ménageant pas ses efforts pour éviter la définition de cadres stricts et durables, malgré une réprobation générale de l’évolution des plus hauts salaires. On connaît l’initiative Minder qui vise un contrôle par les actionnaires des rémunérations. La phase parlementaire n’est pas terminée, et risque d’aboutir sans contreprojet accolé à une proposition de rejet. Peu importe, dira-t-on, du moment que l’on ne sort pas d’un débat sur les droits des actionnaires. Le vrai débat, les bons enjeux sont abordés par l’initiative 1:12 déposée l’an dernier par la Jeunesse socialiste. Elle pose une norme d’écart des salaires applicable à toutes les entreprises. C’est bien plus ambitieux que la démarche Hollande, laquelle n’en tombe pas moins à pic dans l’actualité suisse, face aux efforts multiples fournis en vue d’enterrer ce débat que la crise financière de 2008 avait initié.

Soit une exigence de poser une limite aux écarts de salaires, mais quelle limite? On nage aujourd’hui, comme indiqué ci-dessus, dans l’arbitraire. L’initiative de la Jeunesse socialiste a le mérite de poser une norme claire, tentative de mettre de l’ordre dans ce chaos. «1:12», cela veut dire qu’un patron pourra gagner en un mois ce que le moins bien payé de ses employés gagne en un an, ce qui est déjà pour le moins confortable; mais qu’il ne pourrait pas gagner plus, et là il y a de quoi faire. La moyenne des managers est actuellement de quatre millions par an, avancent les initiants, soit 56 fois le salaire d’un employé ordinaire. On voit bien qu’il y a nécessité de corriger les dérives néolibérales actuelles, et quel autre moyen que celui de définir un écart maximal?

Mais on touche à un tabou, et il fallait s’attendre à des tirs de barrage qui ont bien commencé, avec le message dans lequel le Conseil fédéral propose de rejeter l’initiative sans contreprojet. Et ceci en se réfugiant dans un dogmatisme catégorique.

Certes le Conseil fédéral rappelle que la législation, à défaut d’une loi déterminant un salaire minimal, offre plusieurs moyens de fixer des conditions de travail minimales, et l’on ne serait ainsi pas très éloigné du «smic» que prône une initiative populaire de l’Union syndicale. Admettons, sans aborder ici la question des raisons très valables de franchir maintenant la dernière étape en définissant expressément un «smic».Mais s’agissant du salaire maximal, pas touche! C’est le rappel du dogme: «En ce qui concerne les hauts salaires et les plus hauts salaires, la décision revient aux entreprises. L’Etat n’intervient pas directement dans la fixation des salaires par les entreprises privées…» Au mieux, l’Etat donnera-t-il «des orientations en matière de gouvernance d’entreprise».

Et maintenant, dansez! Le Conseil fédéral se donne en outre le plaisir de signaler qu’au titre d’employeur propriétaire d’établissements publics, l’Etat fixe des limites aux hauts salaires, des limites en général internes à l’écart 1:12, comme quoi c’est parfaitement possible. Sauf qu’il y a des exceptions au bénéfice des directeurs d’entreprises «liées au marché», la Poste, les CFF, RUAG. Bref la Confédération applique un écart limité des salaires sauf lorsqu’elle ne l’applique pas.

Rappelons que la réforme des chemins de fer de 1999, transformant les CFF en une SA, avait entraîné immédiatement, mais très discrètement, l’octroi de puissantes gâteries salariales au directoire de l’ex-Régie. Le pot aux roses découvert, on était momentanément revenu en arrière, mais l’esprit dans lequel s’opèrent ces «orientations vers le marché» avait été bien compris par ceux qui en ont profité.

Encore que les indications fournies par le Conseil fédéral montrent que l’introduction d’un écart maximal de un à 20 dans le secteur public, à l’instar de la démarche de François Hollande, pourrait se faire sans douleur, les plus grand écart se situant à ce niveau. L’écart prévu par la Jeunesse socialiste, ce serait une autre affaire. Le problème est en réalité que c’est la définition même d’un écart maximal général dont le Conseil fédéral ne veut pas, préservant toute la souplesse possible aux rémunérations dans les entreprises «orientées vers le marché». Que voulez-vous, Mesdames et Messieurs, il y a la réalité du marché: respect!

Article paru dans “Courant d’Idées

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