Travail de l’opinion publique par l’image

Trois images ont hanté nos téléviseurs ces temps, qui nous suggèrent chacune des réactions bien précises.

PAR BERNARD WALTER

Comment ne pas être emplis de haine face à M. Bachar El Assad qui se livre à des massacres d’enfants insupportables? Comment ne pas être chargé de mépris face à M. Moubarak qui a réprimé les justes aspirations printanières des Egyptiens et qui pleure pour ne pas aller en prison? Comment ne pas se plonger dans de festives dispositions à la vue des plaisirs aquatiques d’une vieille reine tout en rose?

Point n’est besoin de s’attarder sur le cas de la vieille reine. Chacun pourra se faire sa religion, selon qu’il est adepte de Magazine Royauté ou de «Siné Mensuel».

En ce qui concerne le chef de l’Etat égyptien récemment déchu, première indignation. Nos médias l’ont toujours présenté comme un grand leader arabe, précieux allié des Occidentaux, penchant plus du côté d’Israël que des Palestiniens, et voilà que, lorsqu’il devient officiellement un dictateur sanguinaire, plus personne ne lève le petit doigt pour venir à son secours. Oubliées les trente années de fidèles et loyaux services, il n’est plus qu’un malpropre désigné au mépris universel. Je n’ai jamais eu de sympathie pour ce chef d’Etat, mais je trouve révoltantes ces images complaisantes de Moubarak couché sur une civière, qui, nous dit-on, pleure pour ne pas aller en prison. S’il y avait à le mettre en question, c’est avant qu’il fallait le faire, nos régimes «démocratiques» avaient trente ans pour cela. Ce coup de pied de l’âne au moment où il est à terre montre ce que l’on donne à consommer aux citoyens de nos pays pour leur information et leur éducation.

Je ne parle pas ici de la réaction des Egyptiens du peuple. Ils ont été les acteurs plus ou moins consentants de ce qui se joue, ils ont droit à leurs sentiments et nous ne pouvons pas vraiment en juger. Mais nos médias n’ont pas à se servir de ces réactions comme s’il s’agissait d’un profond sentiment planétaire.

Troisième exemple: la Syrie. Loin de moi l’idée de prendre position dans cette affaire. Comment le pourrions-nous? Qui sait ce qui réellement se passe dans ce pays? Quand on voit la politique des Occidentaux dans le monde arabe et au Proche- et Moyen-Orient, quand on voit leurs invasions lourdes en Irak et en Afghanistan, quand on voit le procès fait à l’Iran de vouloir se doter de l’arme atomique alors que l’énorme puissance nucléaire israélienne est systématiquement passée sous silence, comment croire à la pureté des intentions occidentales et à l’honnêteté de leur information concernant la Syrie? Comment accorder plus de crédit à la version occidentale des faits qu’aux assertions du gouvernement syrien? Faire défiler d’atroces images de guerre et des corps d’enfants massacrés emballés dans des sacs plastique, c’est de la mise en scène sinistre plus que de l’information. Car si ces faits ont eu lieu ces temps en Syrie, ils se passent depuis des années en Irak et en Afghanistan par exemple, sans que nos télévisions se donnent vraiment la peine de nous faire «vivre l’événement» par l’image.

Les Occidentaux ont laissé un million de gens se massacrer à la machette au Rwanda sans intervenir alors qu’il suffisait de quelques bataillons pour mettre de l’ordre dans la maison. Maintenant, ils lèvent les bras au ciel en dénonçant les massacres en Syrie. Comme si eux-mêmes, en plus de leurs propres crimes, n’avaient jamais vendu des armes, jamais encouragé toutes sortes de dictateurs à mettre la main à la pâte… Et ça marche. Nos médias savent que ça marche. Tout le monde ici parle de la Syrie et des horreurs qui s’y passent.

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