Hommage à Béris, moissonneur de l’inattendu


 Artiste-peintre fribourgeois, Raphaël Baeriswyl (photo Michel Perrenoud), alias Béris, est décédé récemment à l’âge de 95 ans. Le journaliste Antoine Bosshard lui rend hommage.

 PAR ANTOINE BOSSHARD

C’est une de ces longues nuits de journal, telles qu’on les a connues jusqu’aux années septante. Où, dans l’attente des nouvelles de dernière heure, l’atelier de la “Gazette de Lausanne”, entre minuit et trois heures du matin, vit au ralenti, dans le tintement des linotypes et le flot des conversations. Au marbre, autour de ces grandes tables d’acier où sont posées les galées – ces cadres métalliques qui servent à l’impression des flans – trois hommes, à demi désœuvrés, jouent avec le gros rouleau encreur servant aux morasses, dernières épreuves avant l’impression. Il y a là André Kuenzi, correcteur et critique d’art, les typos Robert Diserens et Raphaël Baeriswyl. On s’amuse à encrer le rouleau, on fait passer une épreuve, froissée, et le miracle apparaît: des taches, plus belles que dans le test de Rorschach. On réessaie. Le jeu, au fil des heures et des jours, tourne à la création. L’encre, tache imprévisible comme dans les surprenants essais de Victor Hugo qu’on voit encore Place des Vosges, se fait art abstrait. On y met de la couleur. On retravaille à la spatule. La «typopeinture» est née. Deux ans plus tard, en 1958, une galerie de Lausanne, l’Entracte ; d’autres, à Paris et Milan, accueillent cette moisson inattendue et éphémère.

Raphaël Baeriswyl, jusqu’ici, était le seul rescapé de l’aventure. Enfant, à Rolle, il adorait dessiner et peindre dans l’école catholique où il était formé. Fils d’une famille de douze enfants, il lui a bien fallu travailler – dans l’imprimerie. La passion ne l’a pas lâché: la fusion de la “Gazette de Lausanne” et du “Journal de Genève”, puis la retraite ont poussé Béris, comme on le nomme, à reprendre ses encres et ses outils. A tâter aussi d’autres techniques, comme le pastel, le fusain ou l’encre de Chine. L’encre encore. Dans le canton de Fribourg où il s’est retiré, il ouvre, en 1992, une galerie, Avô. Il y accueille aussi d’autres créateurs. A Broc, à Gumefens, puis à Vuisternens-devant-Romont. Dans sa maison de retraite de Billens, on lui a même déniché une pièce tranquille où, dans un encombrement parfaitement ordré, il a continué de jouer la magie des taches.

Mais ne nous trompons pas. Béris n’est pas un peintre du dimanche.  Pour ceux qui ont suivi son travail, il y a chez lui, comme chez tous les artistes authentiques, une démarche. Par phases successives, conjointes parfois au recours à de nouvelles techniques (dont le monotype), cet artiste abstrait est passé d’une expérience à l’autre, avec un bonheur, un instinct surprenants. Voilà qui mériterait une étude. Or ce sera très difficile. Car comme un boulanger qui confectionne son pain chaque jour, comme un potier qui produit de mois en mois des objets à des acheteurs anonymes, l’homme ne s’est jamais soucié de savoir où partaient ses œuvres, disséminées chez ses admirateurs en Suisse romande. Du même coup, toute idée de catalogue raisonné tourne court. Une modestie à saluer. Comme l’inventivité incessante de cet art, né de la contingence du jeu de la couleur et du papier journal.

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