Jura, une étape franchie


Avec une confortable majorité, le Conseil du Jura bernois (CJB) a donné son feu vert à la mise en œuvre de l’accord passé entre les gouvernements bernois et jurassiens au mois de février 2012. Les consultations populaires, prévues dans le Jura et le Jura bernois pour apporter une solution dite définitive à la Question jurassienne, devraient pouvoir être organisées à brève échéance (2013?).

PAR JEAN-CLAUDE CREVOISIER

Mais le chemin est encore long et périlleux. Le Grand conseil bernois doit maintenant créer la base légale permettant ce vote sur une partie de son territoire. Ce n’est pas gagné d’avance, malgré le choix opéré par le CJB. L’UDC bernoise, un parti qui pèse lourd dans ce canton, a déjà manifesté son refus d’entrer en matière. 
Admettons pour l’instant que, malgré cette opposition de fond, les choses se passeront bien et qu’on s’acheminera bien vers un nouveau plébiscite jurassien. Laissons en outre de côté le débat sur la possibilité, après un refus de l’ensemble du Jura bernois de s’associer au canton du Jura, d’un sous-plébiscite qui permettrait à certaines communes du Jura bernois de quitter malgré tout Berne.
 Attachons-nous à décrire la situation et les enjeux.

Le Jura prêt au partage de souveraineté?

Les citoyens du canton du Jura devront de leur côté, par un vote populaire, donner leur accord à la création d’un nouveau canton; en ayant pleine conscience du partage de souveraineté que cela impliquera et de la nécessaire redistribution des implantations administratives. À ce jour, les déclarations d‘intention de tous les partis jurassiens laissent en principe peu de doute sur l’issue du scrutin. Mais des surprises restent possibles. Le PDC, pour ne prendre que cet exemple, y perdrait une certaine hégémonie.

Et on doit regretter que, pour aborder cette nouvelle phase de la Question jurassienne, le mouvement autonomiste ne puisse plus s’appuyer sur une organisation décentralisée avec des sections locales vivantes, actives et fortes (cela autant dans le Jura que dans le Jura bernois, à l’exception de Moutier). La flamme patriotique, qui a sublimé à l’époque les clivages de toutes natures, s’en trouve immanquablement affaiblie. Voyez la rareté et la tiédeur des manifestations officielles lors de la fête «nationale» jurassienne du 23 juin! Quid en plus de l’engagement, le moment venu, de la génération qui n’a pas vécu le combat politique et la mise en place enthousiasmante de la République et canton du Jura.

Convaincre à défaut de séduire le Jura bernois.

Dans le Jura bernois (pas plus que dans le canton du Jura d’ailleurs), nous ne pouvons pas inférer du vote des parents en 1974 pour pronostiquer celui de leurs enfants, électeurs en 2012. Mais les pesanteurs existent et on peut malheureusement craindre une confirmation du choix fait il y aura bientôt 40 ans.

Ajoutons que, ajouté à la crise économique ambiante, le canton du Jura n’a pas un rayonnement et un mode de fonctionnement suffisamment attractifs pour emporter l’adhésion d’une population moins sensible aux valeurs d’autonomie et de responsabilité qu’aux contraintes matérielles objectives et immédiates.

De plus le Mouvement autonomiste jurassien (MAJ) a continué d’attaquer vigoureusement non seulement le canton de Berne en tant qu’institution et ses dirigeants (ce qui se comprend) mais également et indifféremment aussi bien les pro-bernois dans leur ensemble que les responsables politiques de la région opposés à la reconstitution du Jura historique. Or, si ce qu’on appelle la réunification voit le jour, c’est bien avec ces derniers qu’il faudra composer. La collaboration future souhaitée n’en est donc pas partie sur de bonnes bases.

À ce sujet, beaucoup vraisemblablement n’auront pas lu un des derniers éditoriaux d’Alain Charpilloz dans le «Jura libre»*. Et c’est dommage parce qu’on y découvre un changement de ton intéressant, mais peut-être trop tardif. L’auteur y reconnait et salue l’apport des habitants actuels d’origine bernoise pour façonner avec nous et d’autres immigrés le Jura d’aujourd’hui. Il y a plusieurs années qu’une telle attitude aurait dû être adoptée non seulement pour contribuer à apaiser le climat et favoriser tant les rapprochements que les collaborations concrètes. Mais aussi pour préparer le vote historique de demain. Nous avions en effet pu mesurer à l’époque les dommages et leurs conséquences négatives des blessures d’amour-propre sur les personnes visées et leur contagion dans leur milieu politique et social.

Moment opportun pour un plan B?

Tout cela hypothèque un peu le projet de reconstitution institutionnelle du Jura historique. À toutes fins utiles et sans préjuger du résultat du vote à venir, autonomistes et pro-bernois sincèrement soucieux de l’avenir et du développement du Jura bernois devraient s’atteler à un éventuel plan B.

Le Gouvernement bernois a décidé de donner un contenu à la variante «statut quo +» proposée comme alternative à la création d’un canton réunissant le Jura et le Jura bernois. Au lieu de bouder la démarche, les intéressés des deux bords devraient reprendre les revendications que le «Groupe Avenir» a présentées dans son rapport de 2000 (avec un projet de loi sur le statut du Jura bernois). Ce rapport revendique pour le Jura bernois un statut d’autonomie qui ne saurait être limité aux questions de langue et de culture au sens étroit du terme. Il est affirmé, par exemple, que les choix en matière d’aménagement du territoire et d’économie régionale sont des faits culturels spécifiques et que les intérêts du Jura bernois dans ces domaines-là ne coïncident ni toujours, ni nécessairement avec ceux de l’Ancien canton. Le pouvoir du CJB devrait donc obligatoirement aller au-delà des compétences actuellement dévolues à cet organe. Or le moment est opportun pour tenter d’obtenir du canton de Berne un contenu significatif et étendu à la variante «statu quo +». L’exercice, conduit avec suffisamment de fermeté par les responsables politiques du Jura bernois (qui ne se laisseraient pas détourner du but par des arguties juridiques), aurait l’inestimable avantage collatéral de donner la mesure concrète de l’attachement sinon l’amour du canton de Berne pour sa minorité francophone. Il ne faut pas oublier que si, hypothèse pessimiste, le Jura bernois devait renoncer (définitivement selon les termes de l’accord intercantonal) à créer avec le Jura un nouveau canton, Berne n’aurait alors plus aucune raison ni aucun intérêt à faire à l’avenir de nouvelles concessions.

*Alain Charpilloz, dans le «JuraLibre»: «… Les Bernois venus en masse, dans le sud du Jura surtout, ont démontré avec une ardeur de même nature (réd.: que les Jurassiens d’origine). Leur sujétion politique est une autre question, mais ces gens ont fait le Jura avec nous. Il ne faut jamais l’oublier et leur en savoir gré (réd.: c’est nous qui soulignons), ainsi qu’à tous ceux venus de partout. Nous ne serions pas ce que nous sommes sans eux…» 


Article paru dans “Courant d’Idées

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