Fermetures et délocalisations d’entreprises sont aujourd’hui à l’ordre du jour. En France notamment, mais aussi chez nous en Suisse. Les problèmes sociaux et sociétaux qui en découlent ne sont, eux, pas délocalisés!
PAR JEAN-CLAUDE CREVOISIER
Les pouvoirs publics sont totalement dépassés face aux décisions de délocalisation des directions d’entreprise qui se soumettent à ce qu’elles appellent les dures «lois du marché». Or ces lois n’ont rien de naturel, comme on veut nous le faire croire. Ceux qui les ont édictées ne sont pas des êtres abstraits, neutres et désintéressés. Les lois invoquées répondent, de façon parfaitement rationnelle, aux exigences d’enrichissement continu des actionnaires de l’entreprise.
La collectivité et les travailleurs concernés supportent seuls les conséquences, la plupart du temps très lourdes, de ces choix économiques. Les décisions de délocalisations sont toujours choquantes; elles le sont plus encore lorsqu’elles sont le fait de directions qui ont commis, pour en arriver là, de graves erreurs stratégiques (voyez les choix de production du Groupe PSA en France). C’est de plus particulièrement inacceptable lorsque l’entreprise «délocalisatrice» a bénéficié d’aides publiques directes (des primes à la casse de voitures comme en France) ou indirectes (sous la forme d’exonérations fiscales comme en Suisse).
Les relations que ces entreprises tissent avec un lieu et avec un environnement social sont dès le départ déséquilibrées. C’est une lapalissade de rappeler que ces relations sont fondées sur la collectivisation tant des risques que des coûts induits et la privatisation des bénéfices. Il est temps de revoir les conditions dans lesquelles les délocalisations se réalisent aujourd’hui.
Les facteurs de production non délocalisables
Deux facteurs de production ne suivent en effet pas la société délocalisatrice dans sa migration: les travailleurs en général et par force le patrimoine immobilier. Et ce qui était facteur de production pour l’entreprise devient charge brute pour la collectivité et la région abandonnées. Il est donc temps que les pouvoirs publics s’arment contre ces choix économiques unilatéraux.
Mal organisés aujourd’hui, relativement peu syndiqués et malheureusement moins solidaires face à l’adversité, les travailleurs ne sont pas en position de force pour négocier avec l’entreprise les mesures censées compenser, partiellement du moins, la perte d’emploi qu’ils subissent. Pour les protéger, la législation sur le travail doit donc être complétée. Les plans sociaux doivent être rendus obligatoires et encadrés; des standards minimaux doivent être fixés.
Le patrimoine immobilier, délaissé après le départ de l’entreprise, devient une charge pour les pouvoirs publics. Une charge directe si le site a été contaminé par les activités de production et qu’il doit être nettoyé avant toute réutilisation. Une charge indirecte si l’entreprise laisse derrière elle une friche industrielle, inutilisable parce que l’entreprise propriétaire n’a plus aucun intérêt à la mettre en valeur. Une charge indirecte aussi, parce que la collectivité publique impliquée sera obligée d’ouvrir une nouvelle zone industrielle pour accueillir les activités économiques qui doivent offrir des emplois aux personnels délaissés.
La riposte des pouvoirs publics
Face à une mondialisation unilatéralement prédatrice, il est temps que les États protègent leurs administrés et reprennent la main sur le développement de leur territoire.
Or ce qui est actuellement une charge pourrait devenir un atout, pour peu que le législateur le décide. En effet, la loi pourrait tout d’abord obliger, si nécessaire, l’entreprise délocalisatrice à décontaminer à ses frais le lieu de production avant qu’elle le quitte. La loi pourrait également octroyer aux pouvoirs publics un droit d’expropriation sur les terrains, bâtiments et installations abandonnés. Ces deux mesures législatives obligeraient déjà l’entreprise à prendre en compte leurs conséquences financières dans sa décision de délocalisation. L’indemnisation d’expropriation devrait de plus être purement symbolique, en particulier pour toutes les entreprises qui auraient préalablement bénéficié d’aides publiques.
La région hériterait de ce fait d’un patrimoine immobilier, de terrains équipés et constructibles ainsi que de constructions industrielles qu’elle pourrait immédiatement valoriser en les mettant à la disposition des implantations économiques nouvelles qui remplaceraient les emplois perdus.
Il suffirait donc d’un peu d’imagination … et surtout d’une forte volonté politique.
Article paru dans « Courant d’Idées »