La guerre du gaz


La France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées, affirmait le slogan des années 1970 pour promouvoir le nucléaire.

PAR MARC SCHINDLER 

Aujourd’hui, la France découvre que son sous-sol a d’énormes réserves de gaz naturel enfouis dans le schiste. En 2010, dans l’indifférence générale, le ministère de l’Environnement et de l’Energie octroie des permis d’exploration aux groupes français Total et GDF-Suez et à la société américaine Schuepbach Energy.

Puis, un documentaire américain, Gasland, réveille les écologistes. Il montre de manière spectaculaire les dégâts causés aux Etats-Unis par la méthode d’extraction du gaz de schiste par fracturation hydraulique. Une séquence frappe le public: en ouvrant un robinet, le gaz contenu dans l’eau s’enflamme! En France, c’est le début d’une véritable guerre du gaz de schiste. A ma gauche, les écologistes emmenés par José Bové et Noël Mamère mobilisent les «collectifs citoyens» et les élus locaux. Ils affirment que la fracturation hydraulique est un désastre pour l’environnement. Elle pollue l’eau et l’air et menace la santé des populations. A ma droite, les compagnies pétrolières et gazières ripostent: le gaz de schiste est une chance pour la France de retrouver son indépendance énergétique, comme le montre l’exemple des Etats-Unis.

Les deux camps s’affrontent à coup de manifestations et d’articles de presse. Pro et anti gaz de schiste s’accusent mutuellement de manipulations des chiffres et de mauvaise foi. Quand le «Monde» publie un édito «N’enterrons pas le débat sur les gaz de schiste», il est accusé d’être vendu aux lobbies de l’énergie. Quand le «Figaro» titre «La France se prive de ses réserves de gaz», un lecteur réagit: «Le gouvernement veut satisfaire une partie obscurantiste de l’électorat. Non seulement, il n’y arrivera pas, mais nous paierons cher cette régression». Pour le gouvernement, le gaz de schiste est une vraie patate chaude. Devant la levée de boucliers écolos, Nicolas Sarkozy avait fait abroger trois permis d’exploration dans le sud de la France. Et une loi avait été votée pour interdire la fracturation hydraulique. Le gouvernement socialiste, où sont représentés les écologistes, maintient cette interdiction, mais le ministre du redressement productif laisse entendre qu’il va «regarder» ce dossier sensible sans le «rouvrir».

Les pro et les anti mobilisent leurs experts et leurs soutiens politiques pour convaincre l’opinion. Les Français sont matraqués de données techniques partisanes difficiles à vérifier. Leur attitude est ambivalente: ils constatent que le prix du gaz a augmenté massivement et même rétroactivement. Mais ils sont sensibles aux arguments écologiques sur la protection de l’environnement. Le gaz de schiste est devenu un enjeu politique, qui cristallise les contradictions de la société française. C’est une guerre de religion entre les écologistes qui pensent qu’il faut «stopper définitivement toute exploration, refermer le dossier et concentrer nos efforts sur le développement du solaire et de l’éolien, seuls garants d’une croissance durable»et les pragmatiques qui estiment qu’il est urgent d’ «étudier le potentiel de ces gaz de schiste en France et de modéliser les effets, sur la croissance de l’économie française, d’un accès à une source d’énergie domestique et moins coûteuse que l’énergie importée, moins polluante que le pétrole et le charbon, moins polémique que le nucléaire», pour reprendre les termes de François Roche, dans la «Tribune».

La France est traumatisée par le chômage qui frappe 10% de la population active, par l’effondrement du marché automobile, par le recul du bâtiment et par la baisse de la consommation des ménages. Ce n’est pas une situation favorable à un débat serein et dépassionné sur l’avenir du gaz de schiste.

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