Affaire Assange, la pression sur l’Equateur va s’accentuer


L’affaire Julian Assange se corse après que le fondateur de Wikileaks a pu prononcer un bref discours depuis un balcon de l’ambassade équatorienne à Londres, dimanche après-midi 19 août 2012. Le ministre britannique des affaires étrangères, William Hague, a annoncé que l’affaire pourrait traîner encore des mois, voire des années.

PAR ROBERT JAMES PARSONS

Suite à l’octroi d’asile par l’Equateur, le 15 août,  M. Hague avait apostrophé par écrit le gouvernement équatorien. Le ton avait provoqué une réplique cinglante, son homologue rappelant sèchement au gouvernement britannique que l’Equateur «n’est pas une colonie britannique».

Rendue publique immédiatement par le ministre des Affaires étrangères, Ricardo Patiño, la lettre n’est pas passée inaperçue dans l’univers diplomatique. C’est qu’elle constitue une dénonciation de fait, par le Royaume-Uni, du traité de Vienne de 1961 (ratifié par 184 Etats), texte réglant la conduite des relations diplomatiques et fournissant la base de l’immunité diplomatique.

«Vous devriez savoir», lit-on, «qu’il existe une base légale dans le Royaume Uni, le Diplomatic and Consular Premises Act [Loi sur les lieux diplomatiques et consulaires] de 1987, qui nous permettrait d’entreprendre une action afin d’arrêter M. Assange dans l’enceinte de l’Ambassade. Nous espérons sincèrement que nous n’en viendrons pas à cette extrémité, mais si vous n’êtes pas capable de régler cette affaire de la présence de M. Assange dans vos locaux, ceci constitue une option pour nous.»

Et M. Hague de poursuivre: «L’immunité diplomatique existe afin de permettre aux ambassades et aux diplomates d’oeuvrer selon leurs attributions. L’hébergement de criminels présumés ainsi que toute autre entrave à la procédure juridique d’un pays n’entrent pas dans ce cadre et ne sont pas permis.»

Ce que M. Hague ne dit pas, c’est que la loi invoquée n’a rien à voir avec le cas actuel. Elle a été votée trois ans après le meurtre, pendant une manifestation devant l’ambassade de Libye, d’une gendarme, Yvonne Joyce Fletcher, morte d’une balle tirée depuis l’ambassade. Le siège de l’ambassade qui s’en est suivi avait duré 11 jours. Mouammar Kadhafi avait alors déclaré que la police londonienne attaquait l’ambassade et avait ordonné le siège de l’ambassade du Royaume-Uni à Tripoli. Les Britanniques avaient réglé l’affaire en permettant au personnel de l’ambassade de quitter l’immeuble, à la suite de quoi ils les avaient expulsés du pays. Mais à Tripoli, six Britanniques furent détenus par un «Comité révolutionnaire» pendant encore neuf mois. L’affaire avait influé de manière déterminante sur la décision de Margaret Thatcher d’autoriser Ronald Reagan à procéder à des bombardements de la Libye à partir de bases étasuniennes dans le royaume.

La loi permet au gouvernement de décider unilatéralement quels lieux peuvent être considérés comme jouissant de l’immunité diplomatique et ce malgré un accord en vigueur concernant une représentation diplomatique déjà existante. Pourtant, même selon la loi, une dérogation au traité de Vienne exigerait des circonstances exceptionnelles, voire extrêmes.

Le 15 août au soir, suite à l’annonce de l’octroi d’asile, cinq fourgonnettes de la police se sont placées devant l’ambassade, un groupe a pénétré dans les lieux sans y être invité. Il n’a toutefois pas rencontré de résistance. Lors de son discours, Julian Assange a déclaré les avoir entendus grimper l’escalier de secours intérieur.

Mais la publication immédiate de la lettre de M. Hague avait abouti à l’organisation d’une veillée de soutien devant l’immeuble. La présence de ces témoins, selon Julian Assange et d’autres observateurs, a poussé le gouvernement à ordonner aux policiers de quitter les lieux avant qu’ils eussent pu procéder à l’arrestation. 

Daniel Ellsberg, le lanceur d’alerte le plus célèbre aux Etats-Unis pour avoir rendu publics les «Pentagon Papers» sur la guerre du Vietnam, rappelle qu’il ne s’agit aucunement d’une simple affaire d’interpellation judiciaire, le gouvernement Obama a déjà poursuivi et emprisonné deux fois plus de lanceurs d’alerte que tous les gouvernements précédents réunis. 

Julian Assange, dans son discours, a demandé au président Obama d’arrêter «cette chasse aux sorcières» et a invoqué le sort de Bradley Manning, accusé d’avoir fourni à Wikileaks des documents diplomatiques étasuniens. Le 15 août, Manning en était à son 815e jour d’incarcération sans inculpation aucune, alors que la loi étasunienne fixe une limite de 120 jours.

Dans l’Australie natale de Julian Assange, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères, interpellé sur la situation d’un ressortissant que le gouvernement laisse en rade, s’est contenté de dire que l’affaire relève strictement des relations entre l’Equateur, le Royaume-Uni et la Suède. Le rôle de l’Australie se limite à celui d’un «observateur consulaire».

Mais des documents diplomatiques australiens tout récemment obtenus grâce au «Freedom of Information Act» du pays, bien que caviardés à outrance, révèlent des consultations avec les Etats-Unis sur la préparation d’une inculpation formelle qui permettrait de poursuivre Julian Assange pour des crimes entraînant la peine de mort.

Le même Julian Assange a annoncé que le 24 août à Washington se tiendra une réunion des ministres des Affaires étrangères de la plupart des pays d’Amérique latine pour discuter de cette affaire. Autant dire que la pression sur l’Equateur va s’accentuer, tant de la part du Royaume uni que de la part de la superpuissance. 

 

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