A Lausanne, la collection Vallotton sauvera-t-elle le « Pôle muséal » de la débâcle?
PAR CHRISTIAN CAMPICHE
L’ubuesque feuilleton du Musée cantonal des beaux-arts (MCBA) s’est étoffé d’un nouveau chapitre avec l’annonce, lundi 9 octobre 2012, de la constitution d’un «pôle d’excellence» consacré au peintre vaudois Félix Vallotton. Objectif: justifier la mission artistique du (déjà) très contesté « Pôle muséal » projeté sur le site des anciens ateliers des CFF au cœur de Lausanne.
Félix Vallotton (1865-1925) roula sa bosse et termina sa vie à Paris où il est enterré. Une trajectoire hors les murs qui n’empêche pas le MCBA d’être le plus important dépositaire des oeuvres de Vallotton, légitimant ainsi les responsables de la culture vaudoise à capitaliser sur lui aujourd’hui. Etrange est toutefois l’heure tardive de cette « consécration ». Pourquoi aura-t-il fallu attendre 2012 pour envisager un écrin honorant un ténor suisse du mouvement nabi, dont l’écrivain Paul Budry disait en 1930 qu’il s’agissait du «seul peintre romand dont pouvait s’enorgueillir notre petit pays». 80 ans plus tard, Vallotton reste une référence mais il n’est de loin plus l’exception. Depuis, il y a eu Auberjonois, Bosshard, Sutter, Sarto et l’on en passe.
Sans doute, la fondation Vallotton n’est pas pour rien dans cette conversion. Après avoir financé le catalogue raisonné de Vallotton, cette structure où ne siège plus aucun membre de la famille du peintre végétait jusqu’ici. L’accord conclu avec l’Etat semble la relancer, d’autant que le grand argentier Pascal Broulis a exprimé dans la foulée le vœu que l’exploitation du MCBA soit confiée à une fondation de droit public, autrement dit qu’elle soit privatisée partiellement. Le parlement vaudois aura à se prononcer l’an prochain sur cette « désétatisation » dont on se demande ce qu’elle cache vraiment.
Officiellement, il s’agit de faciliter la recherche de fonds pouvant subvenir au lancement du Pôle muséal, projet regroupant le MCBA, le musée de l’Elysée (photographie) et le Musée de design et d’arts appliqués contemporains. Mais il est permis de subodorer un artifice tactique. Un saucissonnage du projet, redimensionnant le coût total à la charge de la collectivité publique, ne serait-elle pas susceptible de soustraire le Pôle muséal au référendum?
Une autre interrogation est d’ordre constitutionnel. Dans d’autres pays, comme aux Pays-Bas ou en Italie, la privatisation des collections de l’Etat fait débat et l’on ne voit pas pourquoi il en serait autrement dans la région lémanique.
On peut se demander également quel rôle jouent les CFF qui ont cédé à la ville la parcelle sur laquelle devrait être érigé le Pôle muséal. Digne de nourrir une nouvelle tirade des «Précieuses ridicules», la régie cautionne l’appellation de «quartier des arts». Elle utilise le néologisme de « gentrification » pour qualifier la transformation du périmètre de la gare. Ses responsables devraient lire wikipedia qui donne de la gentrification la définition suivante: « un processus par lequel le profil économique et social des habitants d’un quartier se transforme au profit exclusif d’une couche sociale supérieure. »
Est-ce cela que veulent les CFF? Sont-ils au fond sincères dans leur désir d’agrandir la gare de Lausanne pour l’adapter aux besoins futurs des pendulaires? La régie des transports augmente ses tarifs et se plaint quasiment de devoir transporter toujours plus de monde. Songerait-elle à délaisser sa vocation de service public pour miser sur les revenus beaucoup plus rentables issus de l’immobilier?
On ne le souhaite pas car c’est à une entreprise de transports de s’adapter aux besoins des usagers, et non le contraire. L’offre des CFF doit s’intégrer dans une urbanisation propice à l’épanouissement privé et professionnel des habitants d’une métropole du 21e siècle. Et ne pas contribuer à figer la population dans un statut de potiche muséale.