La taxe au sac, une péripétie vaudoise


Quelle affaire que ce passage du canton de Vaud à la taxe au sac! D’aucuns à l’extérieur en sourient. Mais le mécontentement est justifié par la précipitation de l’opération, source de dégâts collatéraux.

PAR PIERRE KOLB

C’est une histoire qui a passé à la radio: la mésaventure d’un habitant de Ste-Croix, commune du Jura vaudois qui avait passé à la taxe poubelle au sac en 2009, donc avant le gros wagon des 200 communes de ce début d’année. Notre quidam, qui triait un peu ses déchets, s’est mis à le faire activement lorsque ces fichus sacs taxés sont arrivés. Il s’est inscrit pour le reste à la déchetterie du coin, où il a commencé, muni de sa carte d’usager, à y rapporter régulièrement des matières ou objets triés. A les rapporter régulièrement, souvent, trop souvent même! du moins c’est ce qu’a prétendu l’administration qui lui a écrit pour lui dire que ses nombreuses visites coûtaient trop cher. Lui qui croyait, du fait de son assiduité recyclante mériter des compliments.

Où l’on voit que les ronds de cuir savent faire fort. Courtelinesque. Sauf que si de tels exploits bureaucratiques se renouvellent, on risque de ne plus rire, déjà que ce premier incident confirme que Big Brother est très actif au royaume des déchets.

C’est vrai que ces déchetteries connaissent des heures d’affluence avec files d’attente, les Vaudois en savent quelque chose, dans ce canton, c’est la pagaille, dix jours après Nouvel-An la police des déchets entre action alors que l’impréparation domine, exemple ces nombreuX immeubles qui n’offrent pas de conteneurs à compost. Alors ces déchetteries: ne va-t-on pas passer à des dispositifs de flux tendu, avec inscription préalable et déclaration de marchandise, pénalisation de retard ou d’absence, histoire de ménager les nerfs des préposés et d’éduquer l’usager. Accrochez-vous, le pire est peut-être pour demain.

La pagaille était prévisible, mais les promoteurs de la bascule en une fois, et en urgence, de la majorité de la population vaudoise sous le régime de la taxe au sac, n’en ont cure. Il fallait passer en force, créer une situation irréversible de soumission au légalisme fédéral, c’est le signal fort que la présidente de la commission adhoc, la libérale (sic) Claudine Wyssa, a formulé plusieurs fois dans l’arène parlementaire: «Donner à la population et aux communes du canton un message signifiant que celui-ci veut respecter la loi fédérale… que cette question doit être traitée, que les normes fédérales doivent être respectées.»

Comme une deuxième liquidation de l’exception vaudoise, vous savez, cette particularité cantonale de 2004, fruit de circonstances involontaires, qui avaient incité le Grand Conseil a refuser les ukases fédéraux visant à expulser 523 requérants déboutés. Au terme de cette épreuve de force avec les services de Blocher, les parlementaires vaudois avaient eu gain de cause. Mais par la suite, le libéral (sic) Philippe Leuba, arrivé au Gouvernement en 2007, n’a eu de cesse de liquider cette exception vaudoise, se vantant même publiquement devant Eveline Widmer-Schlumpf de chiffres record en matière d’expulsions.

Il y avait encore un domaine important où le légalisme fédéral était battu en brèche, celui du traitement des déchets où régnait une sorte d’exception valdo-genevoise. Un noyau dur de la droite ne le supportait plus, ça a donné cette opération taxe au sac de 2012.

Entendons-nous. Il ne s’agit pas de célébrer comme un sport une pratique systématique d’obstruction aux normes fédérales. D’ailleurs, ici comme ailleurs, on admet le principe général de primauté du droit fédéral, mais un principe général qui n’exclut pas une marge de manoeuvre d’autant plus défendable que «l’exécutant» est une autorité cantonale dans toute son entière acceptation. A l’aune d’une responsabilité morale ou pratique d’exécutant, celle du magistrat cantonal a autant, si ce n’est plus, de légitimité à lire, et donc interpréter le droit fédéral, que le fonctionnaire de l’administration centrale.

Au reste, en matière de résistance aux «fédéraux» ou d’interprétations à la limite de la tricherie, il est des situations en Suisse centrale, en Valais ou au Tessin, avec surtout des intérêts financiers ou matériels, qui n’ont rien à envier aux péripéties vaudoises.

Il est vrai que dans cette affaire de taxe au sac on a traîné les pieds durant des années, notamment dans les communes urbaines du canton. Traîné les pieds n’est pas la meilleure expression: le problème des déchets, de la nécessité de trier, a été pris au sérieux par une majorité d’édiles. Mais on préférait un travail d’éducation à long terme au dispositif disciplinaire et antisocial lié à la taxe au sac.

Ce travail de persuasion, cette oeuvre politique, a porté des fruits. Un rapport gouvernemental nous apprenait l’an dernier que si les communes qui ont introduit la taxe au sac avant le 31décembre 2008 étaient parvenue à un taux de recyclage de 52,5%, celle de Morges, sans passer par ces contraintes, avait obtenu en 2011 un taux de 53, 5%! Des données qui ont été rappelées au Grand Conseil, mais la majorité n’a rien voulu entendre en faisant le forcing du passage à l’acte légaliste.

Quitte à glisser comme chat sur braise sur le caractère antisocial du système. Une socialiste, Michèle Gay Vallotton, a montré au printemps dernier que la taxe au sac et la taxe forfaitaire combinées pouvaient valoir à une famille de deux enfants une surcharge annuelle de 300 voire 400 francs, pas vraiment des cacahuètes. Son estimation a été mollement contestée par la droite, au sens où il lui a été opposé des situations où la charge pourrait être de moitié, voire du quart. Bien molle objection, puisque la majorité des couples n’ont pas le choix du régime communal sous lequel ils vivent.

Sous cet angle la formule lausannoise, consistant à faire un rabais annuel de 80 francs sur la facture d’électricité à titre de compensation, est une démarche louable. Elle atténue le caractère antisocial des taxes poubelle, mais ne le corrige pas. C’est déjà bien plus que les prétendus allégements mégotés dans de nombreuses communes. Car il faut voir les conditions. Une remise de sacs gratuits en faveur de personnes âgées souffrant d’incontinence? Elles doivent produire un certificat médical. Non, mais ça va pas?

Au Parlement vaudois le député Jean-Michel Dolivo, rapporteur de minorité. a proposé une formule originale: le montant des recettes de cette taxation serait rétrocédé aux habitants, mais la même somme à chacun, indépendamment de la consommation de sacs. Cette redistribution est censée préserver l’incitation à limiter ses déchets. Une formule subtile, du genre rabais d’impôt, discutable peut-être sur le plan de sa dimension réellement incitative. Le fait est que la proposition a été balayée par une majorité qui, sans rien aménager d’équivalent, a ouvert la porte aux baisses de quotité fiscale parfaitement inégalitaires choisies par plusieurs communes au titre de compensation globale aux recettes de la taxation.

Un autre problème évoqué – juste en passant – dans l’arène parlementaire est celui du prix du sac. 2 francs, la moyenne suisse étant 1,90, le tarif zuricois 1,70 franc. Un député a fait observer que sur ces deux francs fixés on ne sait trop comment, 40 centimes allaient disparaître en frais administratifs. Joli!

Mais là, on est au seuil du problème plus vaste encore de l’opacité financière du monde du recyclage. C’est devenu une planète incontrôlée, avec son pilier industriel des usines d’incinération, et des entreprises de récupération dans des filières qui semblent très profitables. Avec les organismes intermédiaires, les sociétés qui gèrent les «périmètres» de gestion, au petit bonheur des sigles Coreb, Gedrel, Sadec, Strid, Valorsa, les publications du genre «Forum des déchets» à mi-chemin entre le bulletin spécialisé et l’office de propagande, dans la logique de leurs sponsors, collectivités et entreprises du domaine. Les lobbies administratif, celui des experts consultants.

Les usines d’incinération posent un gros problème en soi, déjà du fait de leur surdimentionnement qui les amènerait à traiter à très bas prix des déchets importés, ce qui induit à douter de la justification des prix régionaux de traitement des déchets. Le député veveysan Laurent Baillif ne signalait-il pas qu’en Savoie, des usines d’incinération qui produisent de l’électricité achètent leurs poubelles à certaines communes, ce qui est loin d’être le cas chez nous, où l’on constate tout de même des variations de facturation: il faut payer 240 francs la tonne livrée à l’usine lausannoise Tridel tandis qu’à la montheysanne SATOM, branchée sur plusieurs activités de valorisation, le coût de la tonne est descendu en 2012 à 92 fr.ancs.

Tout ça donne le tournis, et surtout l’impression d’une absence de politique des déchets et de troubles circulations financières dont l’usager, à qui l’on a dit Trie et tais-toi, fait les frais.

Le député veveysan, notant que la récolte des déchets, leur transport, coûtent plus que leur traitement, en est venu à dire qu’il pourrait être judicieux de renoncer à certains tris, autre volet du débat. Mais au Parlement vaudois on est resté, la tête dans le sac, obnubilé par la normalisation fédérale, on a esquivé le débat de fond, et négligé les grands enjeux.

Article paru dans “Courant d’Idées

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