Mali, Irak, Libye, Kosovo: mêmes tragédies évitables?

Laisser les populations du Nord du Mali sous le joug des bandes fanatiques et obscurantistes qui y avaient pris le pouvoir n’était pas acceptable.

PAR MATHIEU GLAYRE, MIRKO LOCATELLI ET YVAN LUCCARINI

L’intervention militaire française, avec son cortège de « dégâts collatéraux», ses relents de néo-colonialisme, son eurocentrisme triomphant et son afro-pessimisme déprimant (« ils auront toujours besoin de nous»), non plus. Les résultats des précédentes interventions militaires occidentales de «paix et de démocratie», comme en Irak, en Afghanistan, ou en Kosovo sont là pour nous le rappeler. Il aurait fallu agir avant… mais l’Occident n’y avait pas intérêt. «C’est quand il est trop tard, parce qu’on a tourné le dos à toutes les meilleures options, qu’on nous somme de choisir entre le mauvais et le pire» souligne Serge Halimi.

La France soutient en effet depuis des décennies des gouvernements maliens qui n’ont guère été des parangons de démocratie. Les Touaregs et leurs légitimes revendications en savent quelque chose, réprimés par des gouvernements plus prompts à s’allier aux intérêts occidentaux qu’à ceux de leur peuple. Cette région du Sahel est en effet stratégique pour la France. Le Nord du Niger, séparé du Mali par une frontière poreuse, fournit une grande partie du combustible nucléaire français. Quand on connaît l’importance énergétique et économique de l’industrie de l’atome chez nos voisins, on est en droit de se demander si cette intervention était si désintéressée que cela. Beaucoup d’éléments rappellent la guerre d’Irak, et ce n’est pas un hasard si c’est dans une allégresse «guerrière et démocratique» que les gouvernements français et étasuniens se sont fraternellement retrouvés.

Les véritables solutions, celles qui permettront aux populations locales des vies dignes dans des systèmes sociaux, politiques et économiques propres, ne passeront pas par les armes. Elles obligeront les pays occidentaux – France en tête mais Suisse également – à se remettre profondément en question. Serge Halimi signale également que «… les politiques néolibérales discréditent les Etats, clochardisent leurs agriculteurs, leurs soldats, encouragent la surexploitation par des sociétés occidentales (ou chinoises) des richesses minérales du continent noir. […] Le trafic transnational de drogue, d’armes et d’otages n’existe que parce qu’il peut compter sur des pourvoyeurs non africains. Enfin, il faudra concéder que la chute des cours mondiaux du coton a ruiné les paysans malien, que la sécheresse du Sahel s’accentue avec le réchauffement climatique. »

Certes, les problèmes et les despotes locaux existent, au Mali comme partout ailleurs. Cependant, les rapports profondément injustes et asymétriques entre pays du Nord et pays du Sud, permettant un niveau de vie matériel indécent au Nord, demeurent les principaux obstacles à des conditions de vie dignes dans les pays appauvris. Comme l’écrit Serge Latouche, «tant que l’Ethiopie et la Somalie sont condamnées, au plus fort de la disette, à exporter des aliments pour nos animaux domestiques, tant que nous engraissons notre bétail de boucherie avec les tourteaux de soja faits sur les brûlis de la forêt amazonienne, nous asphyxions toute tentative de véritable autonomie pour le Sud ».

Serge Halimi, Le mauvais choix, Le Monde diplomatique, février 2013.
 Une opacité presque totale règne quant à l’origine de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires helvétiques.

Serge Latouche, Contre l’ethnocentrisme du développement. Et la décroissance sauvera le Sud, le Monde diplomatique, novembre 2004.

Article paru dans « Moins« 

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