Crash de Würenlingen, une nouvelle thèse met en cause la gauche radicale allemande

Les coupables de l’acte de terreur du vol Swissair de Zurich-Tel Aviv en 1970 n’ont jamais été retrouvés: une thèse établit la responsabilité de la gauche radicale allemande

PAR EDGAR BLOCH

«Nous avons de la fumée à bord. Nous ne voyons plus rien. 330 se crashe. Au revoir tout le monde!» lance une voix terrifiée le 21 février 1970. C’est celle d’Armand Etienne, copilote du vol Swissair Zurich-Tel Aviv. C’est le dernier signal avant la catastrophe. L’avion s’écrase quelques secondes plus tard dans la forêt de Würenlingen, en Argovie, juste quelques minutes après avoir décollé de Kloten. 47 personnes, passagers et équipage, sont entraînées dans la mort. C’est à ce jour l’attentat le plus meurtrier à avoir endeuillé la Suisse. Cet acte de terrorisme, presqu’oublié aujourd’hui, n’a jamais débouché sur la moindre condamnation.

Il vient toutefois de faire reparler de lui, notamment dans divers médias allemands et alémaniques. Wolfgang Kraushaar, politologue allemand, consacre un livre à la vague de terreur anti-israélienne qui sévit dans les années septante, dont ce sinistre épisode constitue le point d’orgue. Pour Kraushaar, il ne fait aucun doute que les auteurs de l’attentat se trouvent dans la gauche ultra radicale allemande. Le titre du récit est formulé sous forme de question: «Wann endlich beginnt bei Euch der Kampf gegen die heilige Kuh Israel?» On peut le traduire: «Quand allez vous enfin commencer à vous battre contre la vache sacrée Israël?». La Suisse et sa justice n’ont jamais vraiment pris la peine de vouloir éclaircir cet acte épouvantable, déplore Otto Hostettler, un journaliste alémanique au « Beobachter », qui a passé plusieurs années à enquêter sur ce lourd silence.

Comment des fils de nazis s’en prennent aux Juifs

Quant au titre provoquant du récit de Kraushaar, il est tiré directement d’une lettre de Dieter Kunzelmann, l’une des figures du mouvement allemand soixante-huitard. A l’époque, celui-ci est à la pointe de la contestation, à la fois clown, rebelle et porte-voix de la communauté alternative à Berlin.

La thèse du politologue démontre comment des jeunes allemands gauchistes extrêmes s’allient aux terroristes palestiniens. Ce sont des enfants de nazis qui s’élèvent contre les exactions de leurs pères, mais qui visent en même temps Israël et les Juifs.

Le livre de Wolfgang Kraushaar dresse un inventaire chronologique macabre des années 1970-1972. Comme dans un puzzle, les événements s’enchaînent et les indices s’accumulent.  La lutte menée contre l’impérialisme des mouvements de protestations se transforme en une protestation contre la politique d’Israël pour, finalement, se transformer en antisémitisme. Le drame de Würenlingen marque «un saut qualitatif. Pour la première fois un avion civil a été victime de l’explosion d’un colis piégé. Auparavant, il a en effet été question d’enlèvements organisés par des Palestiniens. Exterminer des gens marque une nouvelle escalade. Au-delà de conséquences sanglantes, il y a une véritable envie d’envoyer des innocents directement à la mort.»

Aucune action en justice

Précédent la catastrophe en Suisse, le 10 février des Palestiniens tentent de détourner un avion d’El Al à Munich. Trois jours plus tard, un attentat est mené contre un logement de la communauté juive de la métropole bavaroise. Sept résidents, parmi lesquels des survivants de la Shoah, périssent sous les flammes. Les indices laissent penser que ce sont les camarades allemands qui en ont été les instigateurs, assure Krausshar. Le même jour qu’à Würenlingen, mais trois heures plus tôt, une bombe explose sur une Caravelle d’Austrian Airlines effectuant un vol en direction de Tel-Aviv. L’avion parvient à effectuer un atterrissage d’urgence à Francfort. Les instigateurs sont rapidement découverts, arrêtés, entendus et relâchés en Allemagne. C’est de là qu’est partie la bombe.

Si de fortes présomptions pèsent sur les auteurs qu’ils soient Palestiniens et/ou allemands, il n’y a jamais eu la moindre action en justice. Ni l’Allemagne, ni la Suisse n’ont montré un grand intérêt à traduire les coupables devant les tribunaux. «La Suisse a sans doute craint de se trouver au cœur de futures attaques», avance Otto Hostettler. Il se montre également dubitatif sur l’attitude de la compagnie aérienne: «des indices laissent penser que Swissair a joué un rôle. Nous avons de forts soupçons à l’encontre de plusieurs grandes compagnies aériennes européennes qui ont versé des paiements à diverses organisations terroristes dans la région.»

Effrayées, voulaient-elles se prévenir d’attaques terroristes ultérieures par ce moyen? Il y a quelques jours, l’  «Aargauer Zeitung» est revenu sur le drame de Würenlingen. Le quotidien évoque une interview d’Hostettler sur une télé locale: s’il se montre élogieux au sujet de l’enquête minutieuse menée par la police, il note que plus rien n’a été entrepris depuis la transmission du cas au Ministère public de la Confédération.

Il y a une année, Michael Leupold, directeur de l’Office fédéral de la justice et chef annoncé de la police cantonale argovienne pour cet été, a répondu par une lettre à la demande du neveu d’une des victimes, jeune hôtesse de l’air du vol. «Pour l’heure aucune enquête n’est prévue contre ceux qui ont tiré les ficelles». Le récit de Kraushaar, qui force sans doute le trait de la seule responsabilité d’une jeunesse allemande radicale égarée dans le terrorisme, et l’opiniâtreté de descendants de victimes et d’un journaliste relanceront-ils ce dossier douloureux et oublié, datant de 43 ans? C’est tout le mal que l’on souhaite.

Wann endlich beginnt bei Euch der Kampf gegen die heilige Kuh Israel? München 1970: über die antisemitischen Wurzeln des deutschen Terrorismus“, par Wolfgang Kraushaar, Rowohlt Verlag, Reinbek 2013.

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