Berne pose le pied sur le frein à la libre circulation des travailleurs


Le gouvernement suisse actionnera sans doute le 24 avril une clause de sauvegarde lui permettant de freiner la migration des travailleurs de l’UE. Il estime que l’accord sur la libre circulation des personnes qu’il a conclu avec l’UE en 2002 lui en donne le droit.

PAR EDGAR BLOCH

Cet accord, entré en vigueur en 2002, donne la possibilité à Berne de limiter temporairement les autorisations de séjour si l’immigration se révèle trop importante, au cas où certains seuils (plus de 10% de la moyenne des trois années précédentes) seraient dépassés.

Le Conseil fédéral est obligé de devoir prendre cette décision avant la fin d’avril, car il a tiré sur ce frein une première fois, en mai 2012, à l’encontre des ressortissants des huit Etats d’Europe centrale et orientale (UE-8) qui ont adhéré à l’UE en 2004. Il a, théoriquement, jusqu’à fin mai pour prendre une décision de la même nature au sujet des 15 «anciens» Etats de l’UE. La clause de sauvegarde exclut pour l’heure la Bulgarie et la Roumanie, sous le coup de restrictions jusqu’au 31 mai 2016.

Le sujet est assez explosif. La mesure prise en 2012 avait fortement déplu à Bruxelles et aux huit Etats concernés, qui se sont plaints de discrimination entre les membres de l’UE. De surcroît, le frein n’a déployé qu’une portée symbolique: ce n’est pas d’Europe orientale que se sont déversés les flux de travailleurs européens, attirés par la prospérité helvétique et le faible taux de chômage. Ceux-ci proviennent avant tout des voisins directs de la Suisse (Allemagne, France et Italie) ainsi que d’Espagne et du Portugal, deux pays minés par la crise.

Le 17 avril, Berne a mené une première discussion sur ce dossier. Il n’a pas décidé s’il allait traiter séparément ou ensemble les «nouveaux» et les «anciens» membres de l’UE. Il semble toutefois probable qu’il prenne une seule et unique décision, qui les concernera tous. Par ailleurs, les chiffres concernant l’immigration ne sont pas encore définitifs. «C’est un des éléments sur lesquels le gouvernement se basera pour prendre sa décision, mais il prendra en considérations des arguments politiques», a précisé son porte-parole.

Ceux-ci pèseront lourds et sont à la fois d’ordre externes et internes. Les ministres suisses savent qu’ils fâcheront d’une manière ou d’une autre Bruxelles, au point, pronostiquent déjà certains milieux, de remettre en cause l’ensemble des relations bilatérales en la Suisse et l’UE. D’autres pensent, au contraire, que les Vingt-Sept pourraient tolérer ce frein pour sauver l’essentiel: le principe même de la libre circulation. L’économie suisse offre en effet de bonnes places de travail à plus d’un million de travailleurs européens.

 Un  sentiment xénophobe ambiant

Mais le Conseil fédéral doit tenir compte également du débat intérieur. Les sentiments mitigés qui se développent au sein de la population à l’égard des flux migratoires, accusés par certains d’être responsable de la crise du logement, des embouteillages des routes ou encore du sentiment d’insécurité croissant, favorisent un sentiment xénophobe ambiant.

Une initiative populaire «contre l’immigration de masse», lancée par l’UDC et une autre, «Halte à la surpopulation», voulue par des partisans écologistes de la décroissance, visent à limiter le nombre d’autorisations de séjours en Suisse – soit par des contingents, soit par une immigration réduite à 0,2% par an sur une moyenne de trois ans. En outre, le Conseil fédéral craint un probable référendum contre l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes à la Croatie.

Pour tenter de couper l’herbe sous les pieds aux populistes de tout poil, les partis de droite représentés au gouvernement sont tentés d’actionner la clause de sauvegarde. A l’opposé, tous les milieux économiques y voient une entrave au recrutement des travailleurs étrangers. Or, plus de 60% des employés du bâtiment sont par exemple issus de l’UE

Ces arguments risquent toutefois de ne pas peser lourd. Le ministre suisse de l’Economie, Johann Schneider-Amman, a déjà laissé entendre en mars qu’il était prêt à réintroduire une «préférence nationale» dans le pays.

 Article paru dans “Europolitique” le  22 avril 2013.

 

 

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