Jura bernois, les marchands d’illusion


Ceux qui refusent la poursuite et l’approfondissement du dialogue interjurassien (en prônant le non le 24 novembre 2013) et qui disent préférer miser sur une amélioration du statut particulier du Jura bernois au sein du canton de Berne sont des marchands d’illusions.

PAR JEAN-CLAUDE CREVOISIER

La preuve? Les mêmes sont bien en peine d’avancer aujourd’hui la moindre proposition pour étoffer ce statut. Ils n’y croient pas eux-mêmes. Comment d’ailleurs le pourraient-ils? Berne, pourtant soumis à l’époque à la menace sécessionniste, n’avait presque rien lâché.

C’est seulement par un «oui» le 24 novembre prochain que le Jura bernois pourrait, pour ceux qui le voudraient, obtenir un statut d’autonomie ayant quelque consistance. Des citoyens de la région, qui n’aspirent en l’état pas à une séparation, en sont convaincus. Leur argumentation tombe sous le sens. Seul le terrorisme verbal des farouches partisans de Berne les empêche d’exprimer publiquement ce point de vue (voyez l’attaque tentée contre le maire de St-Imier, qui a «osé» accepter la co-présidence d’un groupe inter-partis pour le «oui»).

Honnêtement, personne ou presque ne peut se satisfaire du mini-statut particulier du Jura bernois. Voyez en particulier le chaperonnage humiliant du Conseil de Jura bernois, par des autorités cantonales éloignées des problèmes, pour tous les projets BEJUNE pourtant vitaux pour la région.

Le rapport du Groupe Avenir dans le Jura bernois envoyé aux autorités cantonales esquissait le contenu d’un vrai statut d’autonomie du Jura bernois. Or le Grand conseil bernois, s’appuyant à la lettre sur une partie de l’article 5 de la Constitution cantonale, avait superbement ignoré les vœux exprimés par des responsables de tous bords de la région et avait conclu que le Jura bernois ne devait pouvoir préserver son identité (et par conséquent une forme encore très relative d’autonomie) qu’en matière linguistique. Pourtant le même article constitutionnel offre à la région la garantie de pouvoir conserver sa particularité culturelle.

Or l’identité de la population du Jura bernois et sa particularité culturelle ne se réduisent pas au seul usage de la langue française. La culture, au sens large, est un ensemble d’aspirations, de concepts, d’attitudes et de comportements qui doivent pouvoir déboucher sur des choix spécifiques d’organisation (voire de législation) en politique économique, en santé publique, en aménagement du territoire, pour ne prendre que quelques exemples-clés. Car, on le voit sur des questions de société, le Jura bernois ne réagit pas comme l’Ancien canton. Ses vues et ses choix sur le fonctionnement et le rôle de l’État sont parfois en contradiction avec ceux du reste du canton. Cela se constate lors de scrutins tant cantonaux que fédéraux. Et au plan cantonal, c’est le cas échéant le choix alémanique qui s’impose, systématiquement, sans considération pour la particularité culturelle et l’identité du Jura bernois.

Le statut particulier du Jura bernois devrait donc, pour être satisfaisant, être repensé et surtout étoffé. Paradoxalement, le vote du 24 novembre 2013 offre, aux partisans de cette voie institutionnelle, l’opportunité de corriger ce qui doit l’être. Encore ne faut-il pas se tromper de stratégie.

La constituante qui serait mise en place à la suite d’un vote positif aboutirait très certainement à proposer des structures institutionnelles, des implantations administratives et diverses dispositions qui pourraient être tentantes pour les citoyens du Jura bernois. Dès lors, si au moment du choix définitif d’appartenance cantonale, le canton de Berne n’avait rien de mieux à offrir que le statut actuel, il pourrait ne pas y avoir photo entre les deux termes de l’alternative.
En revanche, si le «non» devait l’emporter le 24 novembre, beaucoup pensent avec raison que le statut du Jura bernois au sein du canton de Berne n’évoluera plus. Encore heureux s’il ne se péjore pas à la suite des mesures d’assainissement et de modifications structurelles récemment annoncées par les autorités bernoises. Car ces mesures, a-t-il été dit, frapperont selon toute logique toutes les régions du canton.

Donc, si le Jura bernois devait en définitive tourner le dos au projet interjurassien tout en aspirant à un statut digne de ce nom, dans un canton qui dit tenir à sa région francophone, il ne devrait pas hésiter à mettre les autorités cantonales sous pression. Mais cela ne se pourra qu’avec un «oui» le 24 novembre. Parce que les résultats en politique découlent toujours d’un rapport de forces et ne sont que très très rarement obtenus par un appel à la philanthropie ou à la considération et à la justice.

Article paru dans “Courant d’Idées“.

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