Edward Snowden a travaillé pour la CIA et la NSA.
PAR ADRIANO BRIGANTE
En juin 2013, il a envoyé des données confidentielles au Guardian et au Washington Post concernant le programme PRISM des renseignements américains. On y apprend notamment que ceux-ci ont un accès direct aux données hébergées par des sociétés comme Google, Facebook, YouTube, Microsoft, Yahoo!, Skype, AOL et Apple. Snowden est ce qu’on appelle en anglais un « whistleblower », soit un lanceur d’alerte, en français. Mais en lisant les médias, on remarque que ces derniers semblent préférer un autre terme à connotation beaucoup plus négative: une « taupe ». Est-ce innocent?
Voici quelques exemples qu’on a pu lire ces derniers jours dans les médias suisses:
– La taupe a travaillé à Genève pour la CIA (20 Minutes)
– La taupe de la CIA a travaillé à Genève (Nouvelliste)
– La taupe à la NSA a opéré à Genève pour la CIA (TdG et Le Matin)
– Hong Kong muet sur la présence de la taupe (TdG et Le Matin)
– Edward Snowden, cancre, militaire raté, taupe à la NSA (TdG et Le Matin)
Dans aucun de ces articles (tous signés ATS/Newsnet, sauf le dernier, Newsnet uniquement) n’apparaît le mot « taupe », si ce n’est dans le titre. Est-ce là la petite touche personnelle des journalistes maison ? Ce qui est sûr, c’est que l’utilisation du mot « taupe » dans ce contexte est tout simplement fausse. D’après le Petit Robert, une taupe est « un espion infiltré dans le milieu qu’il observe », et un espion est « une personne chargée d’épier les actions, les paroles d’autrui pour en faire un rapport, ou personne chargée de recueillir clandestinement des documents, des renseignements secrets sur une puissance étrangère. »
Le terme « taupe » a donc une connotation négative. Il renvoie à une personne de mauvaise foi, qui utilise la ruse et le mensonge au service d’un petit groupe (un gouvernement ou une compagnie, par exemple). Or le lanceur d’alerte est l’exact contraire: c’est une personne de bonne foi qui constate des pratiques contraires à l’intérêt général et au bien commun, et qui, écoutant sa conscience, décide de dénoncer publiquement (ou à une autorité compétente en la matière) les dites pratiques, en mettant souvent en péril son image, sa santé financière ou physique, ou même sa famille. Parmi les nombreux lanceurs d’alerte célèbres, on peut citer notamment W. Mark Felt (alias « Deepthroat »), Jeffrey Wigand, Steve Wilson et Jane Akre, et plus près de nous, Denis Robert en France, ainsi que Pascal Diethelm et Jean-Charles Rielle, en Suisse.
A ce stade, la différence entre taupe et lanceur d’alerte me paraît assez claire. Est-ce vraiment trop demander à des journalistes professionnels de connaître le sens des mots?
Article paru dans « Masse critique« .