Les bruits de bottes se font entendre une nouvelle fois au Moyen Orient, avec la possibilité d’une attaque imminente sur la Syrie, suite aux allégations d’usage d’armes chimiques par son gouvernement.
PAR HANS-CHRISTOF VON SPONECK, DENIS J. HALLIDAY, SAID ZULFICAR, SAMIR RADWAN, SAMIR BASTA ET MIGUEL D’ESCOTO BROCKMAN
C’est précisément dans des temps de crise comme ceux-ci que les arguments en faveur de la paix sont les plus clairs et les plus évidents.
Tout d’abord, nous n’avons pas de véritables preuves de l’usage des armes chimiques par le gouvernement syrien. Et même si des preuves étaient fournies par des gouvernements occidentaux, il y a lieu de rester sceptiques, en se souvenant de tous les prétextes discutables ou fabriqués utilisés pour justifier les guerres antérieures; l’incident du Golfe du Tonkin et la guerre du Vietnam, les couveuses koweitiennes et la première guerre du Golfe, le massacre de Racak et la guerre du Kosovo, les armes de destruction massive irakiennes et la deuxième guerre du Golfe, les menaces sur Benghazi et la guerre de Libye. Notons aussi que certaines preuves de l’usage d’armes chimiques sont fournies aux Etats-Unis par les services de renseignement israéliens, qui ne sont pas une source tout-à-fait neutre.
Même si, cette fois-ci, les preuves sont authentiques, cela ne légitimerait en aucune façon une quelconque action unilatérale. Toute action militaire nécessite l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU. Ceux qui se plaignent de «l’inaction» de ce Conseil devraient se rappeler que l’opposition de la Chine et de la Russie à une intervention en Syrie est en partie motivée par l’abus par les puissances occidentales des résolutions sur la Libye, de façon à opérer un «changement de régime» dans ce pays. Ce qu’on appelle en Occident la «communauté internationale», prête à attaquer la Syrie, est réduite à essentiellement à deux pays importants (Etats-Unis et France), sur les presque deux cents pays au monde. Aucun respect du droit international n’est possible sans un minimum de respect pour ce qu’il y a de décent dans les opinions du reste du monde.
Même si une action militaire était autorisée et menée, que pourrait-elle accomplir? Personne ne peut sérieusement contrôler des armes chimiques sans troupes au sol, option que nul ne considère comme réaliste après les désastres en Irak et en Afghanistan. L’Occident n’a pas réellement d’allié fiable en Syrie. Les jihadistes qui combattent le gouvernement n’ont pas plus d’amour pour l’Occident que ceux qui ont assassiné l’ambassadeur américain en Libye. C’est une chose d’accepter de l’argent et des armes venant d’un pays donné, une toute autre d’être son véritable allié.
Les gouvernements syriens, iraniens et russes ont fait des offres de négociations qui ont été traitées par le mépris en Occident. Ceux qui disent «nous ne pouvons pas parler ou négocier avec Assad» oublient qu’on a dit la même chose du FLN algérien, d’Ho chi Minh, de Mao, de l’URSS, de l’OLP, de l’IRA, de l’ETA, de Mandela et de l’ANC, ainsi que de plusieurs guérillas en Amérique Latine. La question n’est pas de savoir si on va parler à l’adversaire, mais après combien de morts inutiles on va accepter de le faire. L’époque où les Etats-Unis et les quelques alliés qui leur restent agissaient comme gendarme du monde est révolue. Le monde devient plus multipolaire, et les peuples du monde veulent plus de souveraineté, pas moins.
La plus grande transformation sociale du vingtième siècle a été la décolonisation et l’Occident doit s’adapter face au fait qu’il n’a ni le droit ni les compétences ni les moyens pour gouverner le monde.
Il n’y a pas d’endroit où la stratégie de guerre permanente a échoué plus misérablement qu’au Moyen-Orient. A long terme, le renversement de Mossadegh en Iran, l’aventure du canal de Suez, les nombreuses guerres israéliennes, les deux guerres du Golfe, les menaces et sanctions d’abord contre l’Irak, ensuite contre l’Iran, n’ont rien accompli d’autre qu’augmenter le sang versé, la haine et le chaos. La Syrie ne peut être qu’un nouvel échec occidental sans un changement radical de politique.
Le véritable courage ne consiste pas à envoyer des missiles de croisière pour exhiber une puissance militaire qui devient de plus en plus inefficace. Le véritable courage consiste à rompre radicalement avec cette logique mortifère: obliger Israel à négocier de bonne foi avec les Palestiniens, convoquer la conférence Genève II sur la Syrie, et discuter avec les Iraniens de leur programme nucléaire, en prenant honnêtement en compte les intérêts légitimes de l’Iran en matière de sécurité et d’économie.
Le vote récent contre la guerre au parlement britannique, ainsi que les réactions sur les médias sociaux, reflètent un changement massif de l’opinion publique. Nous, Occidentaux, sommes fatigués des guerres et nous sommes prêts à rejoindre la véritable communauté internationale, en exigeant un monde fondé sur la Charte de l’ONU, la démilitarisation, le respect de la souveraineté nationale et l’égalité de toutes les nations.
Les peuples en Occident veulent aussi exercer leur droit à l’auto-détermination: si des guerres doivent être menées, elles doivent l’être après un débat ouvert et en tenant compte de préoccupations affectant directement notre sécurité, et non sur une notion mal définie de «droit d’ingérence», qui peut être aisément manipulée et qui est ouverte à tous les abus.
Il nous reste à forcer nos hommes et femmes politiques à respecter ce droit.
Cet appel émane d’anciens hauts fonctionnaires des Nations unies.
Dr. Hans-Christof von Sponeck, Secrétaire général adjoint de l’ONU et coordinateur humanitaire des Nations Unies en Irak de 1998 à 2000.
Dr. Denis J. Halliday, Secrétaire général adjoint de l’ONU de 1994 à 1998.
Dr. Saïd Zulficar, Fonctionnaire de l’UNESCO de 1967 à 1996. Directeur des Activités opérationnelles, Division du Patrimoine Culturel de 1992 à 1996.
Dr. Samir Radwan, Fonctionnaire OIT de 1979 à 2003. Conseiller du Directeur général de l’OIT sur les politiques de développement de 2001 à 2003. Ministre égyptien des Finances de janvier à juillet 2011.
Dr. Samir Basta, directeur du bureau régional pour l’Europe de l’Unicef (1990 à 1995). Directeur Bureau d’Evaluation de l’UNICEF (1985-1990)
Miguel d´Escoto Brockmann, Président de l’assemblée de l’ONU (2008-2009) and ministre des Affaires étrangères du Nicaragua (1979-1990).