La surconsommation de viande entraîne des déséquilibres majeurs


De luxe réservé au dimanche et aux fêtes, la viande est devenue au cours du XXe siècle un produit de masse dans les pays occidentaux.

PAR MICHAEL RODRIGUEZ

La consommation mondiale par habitant a doublé depuis 196, pour atteindre 42,3 kilos. Même si la tendance récente semble montrer une légère baisse dans les pays industrialisés, l’écart reste énorme avec les pays en développement: respectivement 80 et 32 kilos par personne.

Entre ces derniers, les disparités sont aussi considérables. En Chine, un habitant mange 60 kilos de viande par année, contre 13 en Afrique subsaharienne et 5 en Inde.
es conséquences de ce changement de mode de vie sont encore amplifiées par la croissance démographique. En chiffres absolus, la production mondiale de viande a ainsi plus que sextuplé depuis 1950. Un boom qui pose des problèmes écologiques et sociaux lancinants:

• La production de viande pollue davantage le climat que les transports. A l’échelle mondiale, la filière contribuerait à 18% des gaz à effet de serre émis par l’homme (1).
‘élevage extensif de bétail utilisant les ressources naturelles (pâturages) n’est en revanche pas polluant, pour autant que la viande soit distribuée localement.

• L’élevage est vorace en aliments. Pour produire une calorie de viande de poulet ou de porc, il faut quatre calories végétales, onze pour le boeuf et l’agneau. Les cultures fourragères s’étendent au détriment des cultures vivrières et de la paysannerie, notamment dans les pays du Sud. La Suisse contribue à ce phénomène, car la culture de fourrage y est insuffisante et ne bénéficie pas d’incitations de l’Etat.

• La production de soja utilisé notamment comme apport en protéines pour les poules aggrave la déforestation en Amérique du Sud, en particulier au Brésil. Les champs de soja cultivés à l’étranger pour nourrir les animaux d’élevage suisses occupent une surface équivalente à celle du blé panifiable cultivé dans notre pays!

• Certains fabricants d’aliments pour animaux, comme Cargill, contribuent à la faim dans le monde en spéculant sur les céréales.

La viande de volaille est celle qui connaît la plus forte croissance. En Suisse, les gallinacés ont détrôné pour la première fois le boeuf dans les assiettes, avec 11,4 kilos consommés par habitant. Bien qu’en hausse, la production indigène ne suffit pas à combler cet appétit. Une bonne moitié de la volaille est donc importée. Le premier fournisseur est le Brésil, suivi de l’Allemagne et de la France.

Ces importations permettent la mise sur le marché de viande produite dans des conditions écologiques et éthiques contraires aux normes suisses. Le poulet brésilien, acheminé sous forme surgelée, a souvent été «dopé» aux hormones de croissance.
a Suisse a interdit l’usage de ces substances dans l’élevage en 1999. Mais contrairement à l’Union européenne, elle ne veut pas empêcher la commercialisation de viande aux hormones.
e poulet «low cost» exerce une pression à la baisse sur les prix. Les éleveurs (et les systèmes de production) sont mis en concurrence les uns avec les autres. Ce d’autant plus que ce sont parfois les mêmes – les transformateurs, comme Bell et Micarna – qui achètent la production suisse et qui importent du poulet étranger.

Les produits transformés – saucisses, nuggets, plats précuisinés – se taillent une part croissante dans le volume des ventes et les bénéfices de l’agro-alimentaire. Cet essor est favorisé par la réduction du temps consacré par les ménages à cuisiner. Il aggrave toutefois les risques de sous-enchère sur la qualité, l’éclatement géographique du processus de production et l’opacité de la provenance des aliments, comme l’a montré la polémique sur les lasagnes à la viande de cheval.

Et maintenant…

 La surconsommation de viande entraîne des déséquilibres majeurs sur la planète (réchauffement climatique, dilapidation des ressources en eau et en nourriture, «sous-traitance» de la production de fourrages aux pays du Sud). Peut-on laisser la question au «libre» choix des consommateurs, quand on sait qu’un consommateur mange au détriment d’un autre? Une intervention politique est-elle possible et souhaitable? Quels «lobbies» ou forces sociales peuvent se mobiliser?

• Un poulet «bio» consomme plus de nourriture qu’un poulet standard qui vit trente jours. L’écologie n’est donc pas une simple question technique, consistant à remplacer un type de poulet par un autre. Comment créer un système d’élevage biologique dans sa globalité?

• Quelle serait une consommation de viande soutenable? La quantité que nous sommes capables de produire avec nos ressources naturelles (prairies, déchets des huileries, moulins et abattoirs…)?

• Il est techniquement possible de «cultiver» de la viande de synthèse, sous forme d’amas de cellules. Cette technologie, pour l’instant très coûteuse, est-elle appelée à se développer? Est-ce une alternative crédible du point de vue éthique et écologique?

Note*. Source: FAO. Ce calcul prend en compte les émissions liées à la fabrication d’aliments, à l’élevage, à la transformation et au transport de la viande.

Cet article est le septième et avant-dernier chapitre d’une série écrite par Michaël Rodriguez. Paru dans «Courant d’Idées», il fait partie d’une brochure, «Faut-il abandonner la poule à l’industrie?», 47 pages, 9 francs. Celle-ci peut être commandée auprès de M. Reto Cadotsch, 9 quai Capo d’Istria, 1205 Genève, raeto.cadotsch@wanadoo.fr.


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