Neuropolis, pouvoirs en miettes


Prendre le monde politique au sérieux, est-ce possible?

PAR PIERRE KOLB

Il n’est pas rare que des élus soient déconsidérés, pas rare surtout que des gens de l’économie ou de la culture laissent transparaître leur mépris pour ce qui touche à la politique. Attitude banale et assez superficielle, mais on observe une tendance, dans les milieux économiques particulièrement, à manifester plus que du mépris, une déconsidération concrète de l’autorité qui n’est pas rassurante sur le plan de l’exercice de la démocratie. Examinons à cette aune ce que vit présentement l’arène parlementaire vaudoise, dans des dossiers qui impliquent l’ensemble du bassin lémanique et au-delà.

Une commission parlementaire vaudoise avait été constituée en vue d’approuver un crédit urgent de construction d’un bâtiment nouveau baptisé Neuropolis, sur le site de l’EPFL à Dorigny aux portes de Lausanne. Elle a fait diligence, expédiant en une séance l’examen de cet «investissement» de 35 millions: un cadeau de l’Etat de Vaud au projet européen, confié à l’EPFL, de recherches sur le cerveau connu sous le barbarisme «Humain Brain Project». La commission ad hoc a donc obtempéré aux besoins pressants du Gouvernement vaudois.

Cette opération menée à la hussarde était à bout touchant avec une inscription à l’ordre du jour du Grand Conseil lorsque, le 29 octobre, le Conseil d’Etat a fait retirer l’objet en catastrophe. On sait pourquoi. l’EPFL avait changé d’idée, préférant une combine dont on ne doute pas qu’elle ait pu paraître meilleure à ces champions du partenariat public-privé: l’installation du centre stratégique du «Project» dans les anciens locaux genevois de l’entreprise Merck Serono, locaux que le milliardaire Bertarelli associé à une fondation venait de racheter. Tout en laissant le volet médical à Lausanne, ainsi que la construction d’un pavillon d’information… Avantage indéniable, ces locaux sont immédiatement disponibles, et l’on sait que l’humanité gémit d’impatience dans l’attente des recherches de l’EPFL sur le cerveau.

Bon. L’urgence était tout de même relative puisque l’on avait estimé justifié d’investir dans un bâtiment neuf, édifice même proclamé emblématique par l’autorité vaudoise, et l’EPFL n’avait pas protesté. Mais voilà, salut j’t’ai vu, y’a une autre idée. Et Pascal Broulis, tout de même ridiculisé, est bien obligé d’assumer. Quant aux députés, ils se rendent compte qu’on les considère comme de parfaits rigolos.

Cependant personne ou presque n’a protesté, en dépit d’une rage feutrée perceptible dans le microcosme politique et administratif. Il faut savoir que depuis quelques années les Genevois et les Vaudois s’aiment. Ils n’ont pas vraiment publié de bans à ce sujet, mais les deux exécutifs cantonaux ont multiplié les initiatives communes. Dont la ronflante Métropole lémanique, organisme mégalo à qui il arrive tout de même de faire du bon travail, même si son avènement constitue un de ces états-majors obscurs de plus, qui polluent nos institutions et court-circuitent les mécanismes démocratiques de décision. Diable, quand on s’est engagé dans cette belle aventure de la Métropole, on ne va pas gâter la sauce en critiquant les comportements désinvoltes des mandarins de la science appliquée.

Prenons tout de même date d’une protestation qui ne relève aucunement d’un esprit de clocher, mais d’une vision humaniste de la science, celle du scientifique et homme politique Jacques Neirynck. Il trouve la décision détestable: «On ne peut pas commencer à disséminer les choses comme ça. Un campus, c’est comme un monastère: les personnes sont concentrées dans un même endroit»

Reste que les parlementaires cantonaux ont été joués. L’EPFL va-t-elle dédommager l’Etat, le Grand Conseil tout particulièrement, pour le tort causé? Personne n’a évoqué cet aspect des choses, bien sûr. Pas surprenant au vu du peu de considération dont les parlementaires cantonaux, relais pourtant essentiels d’une démocratie de proximité, sont l’objet. La prolifération des organismes, institutions, établissements parapublics ou intercantonaux, dotés de budgets de plus en plus coquets, a créé un magma de pouvoirs incontrôlables, mais manipulables. On l’appelle parfois le 4e échelon, parce qu’il s’insère entre les pouvoirs cantonal et fédéral, mais on n’en fait pas ainsi le tour puisque de grandes excroissances se sont aussi greffées sur les communes, à l’exemple du secteur parasite du traitement des déchets, que l’on est même en train de doter de prérogatives policières.

Les parlements cantonaux n’ont pas pu barrer la route à cette déferlante technocratique. Ceux qui ont dénoncé le déficit démocratique qui en résulte n’ont pas obtenu de véritables correctifs. Les nouvelles commissions composées de députés de plusieurs cantons, dites commissions interparlementaires, censées traiter de ces dossiers, ont été piégées par le secret qui leur est imposé, qui mène à une extinction de la délibération publique sur ces objets. Il y a déjà abus du secret dans les commissions parlementaires ordinaires, mais au niveau interparlementaire, c’est pire: lorsque la bouillie cuite à huis clos est servie dans chaque parlement cantonal, on n’ose plus rien remettre en cause. Et les députés qui y croient malgré tout doivent encore se battre, avec peu de succès, pour exercer leur droit théorique de surveillance de toutes les entreprises intercantonales. Partout le député est perçu comme un gêneur.

La désinvolture des mandarins de l’EPFL s’explique aussi par ce climat. Ils auraient tort de se gêner! Ils sont dans le «trend».

Ainsi va la mentalité dominante, et en bons suiveurs, nombre de médias confortent la tendance, ce qu’une péripétie langagière vient récemment d’illustrer. Soit une étude de l’administration fédérale des finances sur les dépenses parlementaires cantonales. En soi, et quelle que soit l’échelle de référence, la comparaison des statistiques est intéressante. On pouvait par exemple observer que les cantons à Landsgemeinde (les deux Appenzell et Glaris) sont avec Obwald les plus économes en la matière, dépensant moins de 10.000 francs par an et par député. Mais on a sauté à l’autre bout pour crier que c’est à Genève que «les députés coûtent le plus cher» (près de cent mille francs). Ah bon? Cela ne voudrait-il pas plutôt signifier que Genève est le canton qui investit le plus dans la démocratie parlementaire? On ne serait plus dans le trend en choisissant cette perspective, et probablement qu’on n’y a même pas pensé.

Une coïncidence a fait que sur le plan de la contestation des prérogatives, un autre incident a émaillé cette semaine la chronique parlementaire vaudoise. Une commission a tiré des conclusions critiques du traitement en haut lieu de l’affaire de l’assassinat d’une jeune femme par un détenu près de Payerne. Il y a eu faute de la part d’une juge, souligne le président de la commission. Invoquant les responsabilités parlementaires de haute surveillance de la justice, il demande l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de cette magistrate. Ce qu’au Tribunal cantonal on refuse catégoriquement, au motif que les députés outrepasseraient leurs compétences. L’affrontement est virulent, dont on attend l’issue avec intérêt sur les plans juridique et politique.

Le contexte général de ces deux incidents induit une interrogation lancinante: quelles sont, quelles peuvent être les vraies compétences d’un député cantonal? Et s’ils ne sont pas réinvestis de sérieux pouvoirs, le jeu en vaut-il la chandelle?

Mais ce ne sera pas dit en ces termes. On soulignera de plus en plus la dimension folklorique des pouvoirs cantonaux, et l’on trouvera de plus en plus que ce folklore est coûteux.

Article paru dans «Courant-d’Idées»

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Un commentaire à “Neuropolis, pouvoirs en miettes”

  1. Harry Potter 6 novembre 2013 at 07:54 #

    Les considérations lues ci-dessus voient s’entremêler plusieurs niveaux, plusieurs cercles de pouvoirs, et de grands mystères pour qui ne les a pas fréquentés.

    Démêler cet écheveau dépasse mon entendement, mais de cet imbroglio émergent deux personnages qui rappellent deux caractères centraux de ma saga.

    Rappeler qui ils ont été aidera peut-être à appréhender l’un des thèmes effleurés dans l’article ci-dessus, tout en étant conscient de n’aborder qu’une facette annexe de la problématique discutée.

    Voyons donc ce que Wikipedia nous apprend sur ces deux personnages, et sur ce centre d’éducation pour sorciers, réservé à une élite, et appelé Poudlard … en fait, un conglomérat de maisons.

    Il y a d’abord Dumbledore, facilement identifiable puisque désigné par son nom, qualifié de «défenseur des gens du commun, des Sang-de-Bourbe et des Moldus»; ou encore de «vieil ahuri d’un autre âge». Dumbledore est le seul sorcier que notre second caractère ait jamais craint. Remarquablement «sa présence à Poudlard fit de l’école un abri sûr durant les années 1970».

    Notre deuxième personnage est «Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom », dont on a écrit qu’il a «un don pour avoir ce qu’il veut». De plus il a la capacité de parler le Fourchelang, la «Langue des Serpents».

    Engagé chez Barjow et Beurk, une boutique qui achète et vend des objets de magie, rares ou précieux, il se révèle un vendeur talentueux.

    Ill se présente plus tard à Poudlard, espérant y occuper une haute position. Dumbledore, nouvellement nommé directeur, refuse catégoriquement.

    NB: Je crains à ce stade que votre réalité soit moins belle que ma saga, puisque VOTRE Dumbledore n’était point directeur, et que ses seules réserves n’eussent point eu le soutien de la majorité de ses alter-ego.

    Wikipedia nous en apprend un peu plus sur la forme de pouvoir cultivée par «Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom»: il regroupe autour de lui une troupe de sorciers qui le suivent pour diverses raisons: peur, conviction idéologique, simple intérêt, ensorcellement, ou tout simplement bêtise. Parallèlement, ce Seigneur des Ténèbres soumet la population magique à une intense propagande, puisqu’il contrôle la Gazette du Sorcier et tous les médias.

    On note sans surprise que tard il part à l’étranger à la recherche de la baguette magique la plus puissante du monde, et, but ultime, il prend possession de Poudlard. Ceci donne lieu à une déclaration inquiétante pour l’éducation future des sorciers: il annonce alors le remplacement de toutes les maisons par la seule maison de Serpentard!

    Comparaison n’est pas raison, à vous de juger.

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