Exit la question jurassienne

Le résultat des urnes, dimanche 24 novembre 2013, est incontestable. 

PAR JEAN-CLAUDE CREVOISIER

Dans le canton du Jura, c’est très majoritairement l’ouverture à l’autre. Dans ce qu’on appelle le Jura bernois, c’est non moins clairement un repli identitaire bernois.

Premier constat. Dans les districts de Moutier, Courtelary et La Neuveville, à des degrés divers, ceux qui ont une fibre jurassienne sont manifestement minoritaires. Les autres habitants de ce coin de pays habitent une région géographique qui s’appelle le Jura bernois, comme il existe un Jura neuchâtelois , un Jura vaudois et même un Jura soleurois. Ils ne sentent et ne se veulent plus Jurassiens. Certains l’ont exprimé avec une haine incompréhensible. Les mêmes sont d’ailleurs allés jusqu’à déclarer ne plus vouloir entendre parler de collaboration «interjurassienne». Les institutions communes ne seront ainsi plus interjurassiennes mais intercantonales.

L’illusion, à laquelle j’ai personnellement cru, d’un retour possible à l’unité du Jura historique est bien morte. Cela s’explique par d’indéniables évolutions démographiques (notamment une importante immigration bernoise) accompagnées et suivies d’une mutation culturelle insidieuse qu’à connu le sud du Jura depuis la fin du XIXe siècle. Le phénomène s’est révélé de façon explicite lors d’un débat à la télévision régionale: un jeune Sanglier, habitant le Plateau de Diesse pourtant originaire d’une de ses communes, a très naturellement déclaré que chaque matin il se levait en se sentant Bernois. Ainsi, beaucoup d’autres de ses concitoyens et même combourgeois ne se revendiquent plus comme Jurassiens bernois mais comme Bernois de langue française. Il s’agit bien d’un réflexe sinon d’un repli identitaire dont il faut prendre acte.

Deuxième constat. En (sur)investissant son attention et ses efforts sur la ville de Moutier, le mouvement autonomiste a peut-être donné l’impression aux autres Jurassiens du sud qu’il les abandonnait en faisait ainsi la part du feu. Ceci expliquerait en tout cas l’immuabilité du rapport des forces dans le reste du Jura sous juridiction bernoise.

Troisième constat. La normalisation du comportement politique des responsables du nouveau canton, leur intégration «à la suisse», une forme de routine bureaucratique dans son fonctionnement ainsi que l’absence d’un projet collectif transcendant (comme aurait pu l’être «Jura pays ouvert» par exemple) ont privé le Jura d’un avantage concurrentiel face au canton de Berne. Le connu même très prosaïque vaut mieux que l’inconnu pourtant apparemment paré des plus belles promesses d’évolution.

Quatrième constat. Le projet de création d’un canton de l’Arc jurassien avait reçu, on va être gentil, un accueil plutôt froid sinon hostile chez beaucoup de dirigeants jurassiens. Et le Mouvement autonomiste jurassien (MAJ) avait bêtement attaqué ses promoteurs, les traitant avec mépris d’aménagistes et en leur niant tout sens politique. Or l’article premier des statuts de ce mouvement, s’il dit bien que «le MAJ a pour but d’affranchir le peuple jurassien de la domination bernoise», propose bien sûr comme moyen premier (et désormais totalement irréaliste) pour y parvenir la création «d’un État souverain, membre de la Confédération suisse, formé des territoires par l’acte de libre disposition du 23 juin 1974». Mais la phrase suivante de cet article prend aujourd’hui toute son importance, à savoir que «d’autres solutions peuvent aboutir à la réalisation du but statutaire». Roland Béguelin, rédacteur de ces statuts, était un visionnaire.

L’association pour la création d’un canton de l’Arc jurassien (ACAJU) offre une de ces autres solutions. Les militants du MAJ s’y rallieront-il?

Article paru dans «Courant d’Idées»

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