Le débat sur le chantier de la gare de Lausanne a servi avant tout à mesurer un rapport de forces


Salle archicomble lundi soir 13 janvier 2014 à la Maison de Quartier Sous-Gare de Lausanne et l’émotion qui étreint Vincent Cruchon face aux 250 personnes qui remplissent l’auditoire.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

L’animateur de ce lieu communautaire a introduit la séance organisée par la «plate forme de réflexion et d’action» qui rassemble les habitants de plusieurs quartiers touchés, directement ou indirectement, par la mutation de la gare de Lausanne, a savoir  l’Association des Riverains de la Gare de Lausanne (ARGL), le Collectif Gare, la Maison de Quartier Sous-Gare et les pétitionnaires Monique et Pierre Corbaz. Une conseillère d’Etat, deux membres de la municipalité et des représentants des CFF ont répondu présent au débat arbitré avec humour et à-propos par le journaliste Laurent Bonnard. On verra à la fin de ce compte-rendu que la soirée, loin de donner lieu à une passe d’armes enflammée, a servi avant tout à mesurer un rapport de forces.

Ce n’est pas pour rien que l’honneur d’ouvrir les feux est revenu à un invité surprise venu de Berne, le lieu où tout semble se décider en matière d’infrastructures ferroviaires. Michel Paccaud, de l’Office fédéral des transports, a posé l’enjeu qu’il qualifie de majeur: confrontée à une forte hausse de la fréquentation, la gare de Lausanne doit adapter ses quais aux «exigences de la sécurité». Dans ce but, elle recevra une partie des milliards que la Confédération prévoit d’investir dans l’amélioration de l’offre ferroviaire, d’où l’importance, à ses yeux, du résultat de la votation fédérale du 9 février 2014 consacrée au FAIF, le financement et l’aménagement de l’infrastructure ferroviaire. A Genève et Lausanne-Renens, les investissements programmés s’élèvent à 800 millions et 1 milliard de francs, respectivement.

Il est revenu logiquement à un chef de projet CFF, l’ingénieur civil Charles-André Philipona, d’asséner dans la foulée les chiffres de l’évolution du trafic quotidien des voyageurs sur l’axe Lausanne-Genève: 25.000 en l’an 2000, 50.000 aujourd’hui, 100.000 en 2030, une cadence des RER rythmée au quart-d’heure, un doublement des places assises, le prolongement à 420 mètres des quais, l’élargissement, de 7 à 10,5 mètres de ces derniers. Classé, le grand hall central sera épargné, ce qui est quand même la moindre des précautions. Par contre l’entrée-sud sera totalement réaménagée: une esplanade remplacera un pâté d’immeubles à la rue du Simplon, voué à la destruction. Refuge des voyageurs privilégiant le charme Belle Epoque à prix accessibles au confort aseptisé des 4 étoiles, le plus que centenaire GuestHouse sera aussi rasé, a confirmé M. Philipona.

Le chantier du siècle durera plusieurs années, Lausanne va souffrir, mais les édiles affichent un calme de façade. Municipal des travaux, Olivier Français a projeté sur l’écran un grand cercle entourant la zone affectée par cette mutation sans précédent. La ligne déborde allègrement du pourtour de la gare pour s’étendre au nord vers la place St-François, au sud vers la ceinture qui sépare à proprement parler la ville de la région portuaire d’Ouchy. Autant dire que des milliers d’habitants sont concernés. Dans ce maelstrom urbain, le piéton sera privilégié, assure M. Français, avant de lancer une carotte: un troisième passage sous-voie viendra s’ajouter aux deux existants.

La Méduse apprendra plus tard en aparté que le Buffet de la Gare, «stamm» des esseulés et des poètes épicuriens, sera fermé pendant les travaux qui devraient débuter vers 2017-2018. Le remplacera un concept semblable à celui qui a été adopté à Cornavin, comprend-on entre les lignes. Une époque s’achèvera mais les fresques historiques qui ornent la salle devraient être maintenues, assurent les CFF. On ne demande qu’à les croire.

La gare de Lausanne est un grand projet car elle bat au coeur du système ferroviaire de la Suisse, a justifié Nuria Gorrite. La cheffe des infrastructures cantonales s’est livrée à une dissection d’artères pour visualiser un triple pontage coronarien sur le réseau ferroviaire lémanique, une région dont la croissance démographique est l’une des plus fortes de Suisse et qui accaparerait, de ce fait, le quart des ressources fédérales. Et l’élue de militer à son tour en faveur d’un “oui” le 9 février. L’occasion, il est vrai, fait le larron. Mais attention à l’effet boomerang: que se passerait-il, au contraire, si le peuple disait non au FAIF? A cette question venue de la salle, Michel Paccaud répond sans «botter» en corner: «il n’y a pas de plan B, l’investissement serait perdu, on recommencera avec d’autres solutions».

L’heure avançant, les questions ont été plus insistantes:

  • Quelles seront les nuisances apportées par le chantier du siècle? Charles-André Philipona ne nie pas qu’il y en aura, ne serait-ce qu’en raison des deux voies qui seront mises hors service. Voilà pourquoi les CFF rompent une lance de plus en faveur de la future ligne de métro M3 qui devrait relier Lausanne à la Blécherette, au nord de la ville. «Sans elle, ce sera très difficile».
  • Grégoire Junod pourrait-il faire le point sur les délogés de la rue du Simplon? «Quand je suis arrivé à la municipalité en 2011, on parlait de 100 logements supprimés. Aujourd’hui, ce nombre a été ramené à 53 familles, sans compter le GuestHouse. Rue Voltaire, où s’activent bulldozers et maçons, 70 logements à loyers contrôlés seront proposés à ces personnes. Mon souci est plutôt la pression qu’exerce sur le quartier un projet immobilier à Grancy. La collectivité n’a pas le pouvoir de l’empêcher», résume le municipal en charge de la Sécurité publique.
  • Quid des nouvelles surfaces commerciales? Gros promoteur immobilier de Suisse, les CFF peuvent-ils donner des indications? Elles seront doublées et passeront à 10.000 mètres carrés, lâche Urs Schlegel, un dirigeant des CFF, provoquant les murmures des forts en maths qui ont fait un autre calcul: la surface sera en fait quadruplée!…
  • Pourquoi ne pas envisager une gare souterraine pour éviter les nuisances en surface? Un peu partout en Suisse en commençant par Zurich, les CFF s’en dotent. Les Genevois y sont parvenus après une lutte acharnée, pourquoi pas Lausanne? Oui, mais à Genève, le canton passera aussi à la caisse, coupe net un représentant des CFF.

Au final, beaucoup de questions restées sans réponse. Des CFF qui tentent de rassurer, des politiciens qui justifient leurs options, une population curieuse mais attentiste. L’impression surtout d’une vaste cacophonie dont pour l’heure ne tirent parti que les promoteurs immobiliers.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 commmentaires à “Le débat sur le chantier de la gare de Lausanne a servi avant tout à mesurer un rapport de forces”

  1. Michel Zimmermann 15 janvier 2014 at 15:14 #

    Depuis qu’un certain Conseiller fédéral socialiste, Moritz Leuenberger, a libéralisé, puis privatisé, par souci d'”euro-comptabilité”, les services publics de la Confédération (CFF, Poste et Télécom), les décisions les plus antisociales sont partagées, sous couvert de “pragmatisme”, jusques et y compris par les sommets de la social-démocratie. Prenons le FAIF, officiellement soutenu par le PS, sur lequel nous devrons nous prononcer le 9 février prochain : il s’agit d’entériner le financement de nouvelles infrastructures ferroviaires. Les sources de financement : augmentation de la TVA – antisocial par définition ; augmentation des billets de train – antisocial ; importante contribution des cantons – comme la LAMAL, antisocial ! Au final, la masse des travailleurs et des pendulaires (forcés) paient pour l’infrastructure et, depuis que les CFF sont devenus CFF-SA, que l’infrastructure a été séparée de l’exploitation, les actionnaires toucheront les dividendes en exploitant les infrastructures toutes nouvelles que la population leur aura financées. C’est la logique du marché, des multinationales (exonérées à tour-de-bras), des banquiers, des spéculateurs et des institutions ultra-réactionnaires de l’UE : collectiviser les coûts pour privatiser les profits… et dire que nos édiles socialistes, contre leur base, soutiennent cela. À nous de faire en sorte que cela change en nous mobilisant et clamant haut et fort : ça suffit !

  2. Barbara Fournier 15 janvier 2014 at 21:26 #

    Tout à fait d’accord avec la conclusion de Christian Campiche et la position de Michel Zimmermann. Hélas qui dans les médias se fait l’écho de telles critiques? Etre contre le FAIF, c’est presque commettre un acte anti-citoyen. Pensez donc! Par un de ces superbes raccourcis que la politique affectionne tout particulièrement, dire non à FAIF c’est refuser la mobilité! L’ancien directeur des CFF lui-même a pourtant mis en garde contre un surinvestissement dans le ferroviaire… Quand on y regarde d’un peu plus près, le projet d’agrandissement de la Gare de Lausanne apparaît surtout comme un immense centre commercial sur lequel passeront des trains… Qui gagne à ce jeu? En tout cas pas les voyageurs, car plus les gares se développent “comme des temples de vos achats” (dixit la pub des CFF eux-mêmes) et plus le coût des trajets en train augmente… En tout cas pas les commerçants environnants (quoi qu’on nous dise) ni les habitants qui voient s’envoler les prix des loyers à proximité des gares “rénovées”, espaces qui avaient été longtemps relativement préservés par les appétits des promoteurs car il y eut un temps où habiter tout près d’une gare était plutôt le lot des personnes modestes et des marginaux… A l’heure du “sacre” de la mobilité – qui cache en réalité une nouvelle forme de servitude – habiter près d’une gare est devenu un “must” tout comme le fait d’habiter dans une usine morte, que l’on aura au passage élégamment rebaptisée”loft”… Mais qui freinerait aujourd’hui le bulldozer de CFF immobilier ? Surtout pas notre Conseil fédéral qui les presse de faire des opérations toujours plus rentables… A l’heure où les ardents défenseurs de FAIF montent au créneau pour donner des leçons de citoyenneté et marteler des chiffres et des projections que personne ne prend la peine de vérifier comme s’ils étaient parole d’évangile, il vaudrait la peine de s’interroger sur le sens donné à la citoyenneté, un sens qui semble, lui aussi – signe des temps – frappé d’une stupéfiante… mobilité!

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