L’initiative de l’UDC «contre une immigration massive» a l’inquiétant mérite d’avoir dressé contre elle un front aligné-couvert derrière le Conseil fédéral allant de l’extrême gauche aux faîtières patronales les plus libérales.
PAR MICHEL ZIMMERMANN
Plus inquiétant encore, les arguments des uns et des autres se recoupent tous en un point d’intersection précis: l’accord bilatéral Suisse/UE sur la «libre circulation des travailleurs et des services» qu’un OUI à l’initiative de l’UDC remettrait en question.
Que les patrons, les gros entrepreneurs, les capitaines d’industrie, la grande distribution et les banquiers, grands bénéficiaires de la «libre circulation des personnes et des services», combattent l’initiative de l’UDC pour «sauver» cet accord et le dumping salarial qui en résulte, on comprend… mais à gauche?
Oublie-t-on que, sous son vernis «humaniste», la «libre circulation des personnes et des services» constitue l’une des pièces maîtresses de l’arsenal maastrichtien destiné à casser le coût de la force de travail? Oublie-t-on que dans les conditions de l’exploitation capitaliste, des restructurations, délocalisations et privatisations, les directives et lois qui s’y attachent permettent la constitution d’une imposante armée de réserve réunissant tous les chômeurs et travailleurs précaires que les politiques antisociales décidées à Bruxelles produisent («baisse compétitive du coût de la force de travail», plans d’austérité, assainissement des «dettes» prétendues pour recapitaliser les banques et spéculateurs, etc.)? Enfin, oublie-t-on que la «libre circulation des personnes et des services» est le moyen par lequel l’UE met tous les travailleurs d’Europe en concurrence tendant à imposer le plus petit dénominateur commun en matières sociale et salariale?
Un syndicaliste tessinois, s’interrogeant sur la revendication d’un salaire minimum à 4000 CHF, lance une alerte et s’inquiète en mentionnant l’exemple d’une entreprise établie au Tessin qui vient de licencier neuf de ses dix ingénieurs hautement qualifiés, rémunérés à hauteur d’environ 10’000 CHF par mois, et qui réengage, dans la foulée, huit ingénieurs italiens qu’elle paie désormais 4000 CHF par mois.
Ne nous y trompons pas, il ne s’agit pas, pour l’auteur de ces lignes, de donner un blanc-seing à l’initiative de l’UDC mais bien de signaler qu’en la combattant pour la raison essentielle qu’elle remettrait en cause l’accord bilatéral de la Suisse avec l’UE sur la libre circulation de la sous-enchère salariale, les tenants d’une certaine gauche se noient, une fois de plus, dans l’insoluble contradiction du soutien «critique» aux institutions politiques et réactionnaires de l’UE. En passant sous silence le contenu véritable du «permis L» délivré aux esclaves des temps «modernes» au titre de la libre circulation des travailleurs détachés et, comme font aussi les patrons, en ne colportant que l’argument selon lequel un OUI à l’initiative du parti «nationaliste» restaurerait les contingents et l’«inhumain» permis de saisonnier (qui n’a justement rien à envier au permis L… accordé pour seulement 90 jours d’intense exploitation), les comités de cette gauche bien pensante participent d’une imposture politique et intellectuelle.
Au final, nous saurons, le 9 février prochain, si l’initiative de l’UDC sera acceptée ou non. Toujours est-il qu’en focalisant le débat sur la «libre circulation des personnes – en fait, des travailleurs – et des services», il ne faudrait pas que les directions syndicales et les gauches, plus ou moins radicales et/ou bien pensantes, ne stigmatisent trop les travailleurs qui auront glissé un OUI désespéré dans l’urne. De fait, n’eut-il pas été préférable que les dirigeants syndicaux et les responsables du PS ne se fendent d’une déclaration dont les accents eussent, peu ou prou, résonnés comme suit : «Pour nous, syndicaliste, militants socialistes, travailleurs, apprentis et étudiants, l’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse» s’appuie sur d’inacceptables motifs xénophobes qui, comme pour l’initiative Schwazenbach de l’Action nationale en 1970, doivent être combattus. Cependant, nous constatons que créant la confusion, le Conseil fédéral, soutenu en cela par le patronat, cherche à transformer le rejet de cette initiative en plébiscite à l’appui de l’accord bilatéral Suisse/UE sur la «libre circulation des personnes et des services».
Attentifs à cette manœuvre de diversion, nous ne nous laissons pas berner et déclarons que tout en rejetant l’initiative de l’UDC pour les motivations racistes et xénophobes qui la distingue, nous prenons l’engagement de combattre, sur notre terrain et par tous les moyens, y compris en lançant le référendum contre la reconduction de l’accord bilatéral sur la libre circulation des personnes et des services et son extension à la Croatie, toutes les politiques fondées sur le dogme de concurrence libre et non faussée consignées dans le traité de Maastricht. Ce faisant, nous apportons, en tant que syndicalistes et sociaux-démocrates, notre concours et notre soutien au combat quotidien que mènent l’ensemble des travailleurs d’Europe qui, dans d’effroyables circonstances, cherchent à résister au rouleau compresseur de la Troïka (FMI, BCE, UE) et de la dictature des marchés et des multinationales dont l’agence européenne se trouve à Bruxelles»?
Rêvons, rêvons… il en restera toujours quelque chose…
L’auteur est militant ouvrier.