Immigration, «tu l’as voulu…»


Sans doute la percée in fine de l’initiative UDC sur l’immigration a-t-elle surpris son monde.

PAR PIERRE KOLB

N’empêche que la politique de l’autruche en matière de migration et l’attentisme antisocial en matière de logement induisent à dire que le Conseil fédéral et la droite classique l’ont bien cherché.

Une donnée, avant toute autre, explique ce coup de théâtre: la statistique de l’immigration en regard des prédictions qu’en avait faites l’officialité. Cela a circulé partout, en boucle, répété pas seulement du fait de la propagande des UDC, mais à cause de la surprise due à l’écart: un solde migratoire net annuel de quatre-vingt mille personnes, alors que le Conseil fédéral en prévoyait dix fois moins. Simple erreur? On peine à le croire, et ce le serait, il y a lieu de s’interroger sur la crédibilité d’autorités qui se permettent d’aussi grossiers écarts prévisionnels.

Or, cette immigration quotidiennement perceptible est le fruit d’une politique économique de fuite en avant, fondée sur le racolage d’entreprises étrangères, particulièrement de ces multinationales qui importent leurs cadres, hôtes de passage, mais néanmoins prioritaires sur le plan du logement, pas seulement parce que leurs entreprises leur réservent un gîte, mais parce que les loyers sont devenus inabordables à la plupart des gens d’ici. C’est l’expérience pénible de nombreux jeunes foyers pratiquement chassés de leurs villes jusque dans des banlieues toujours plus lointaines. On est dans une problématique assez différente que celle d’une immigration ouvrière montrée du doigt dans les années 60-70.

En outre l’impact quantitatif de cette migration bipolaire, puisqu’il faut aussi tenir compte des sans-papiers dont le statut social est bien différent, cet impact quantitatif a modifié le paysage urbain et généré des inquiétudes légitimes. Ne rouvrons pas le débat stérile du seuil de tolérance, mais constatons tout de même que, dans un contexte de précarité croissante et de creusement de l’écart des revenus, les mutations démographiques se sont déroulées à un rythme qui les a rendues agressives.

Par ailleurs, outre ses prédictions démographiques rassurantes et soporifiques, mais hélas erronées, le Conseil fédéral a aussi, pour faire approuver les accords bilatéraux, mis en avant la clause de sauvegarde, dispositif ultime de sécurité censé nous mettre à l’abri des mauvaises surprises. Mais le passage à l’acte a été des plus scabreux, avec cette sauvegarde ciblée sur les pays de l’Est, alors que le gros de l’immigration vient de l’Ouest, comme si l’on avait soigneusement choisi d’être inefficace, une sauvegarde pour rire, un hochet, sans même avoir conscience que l’aspect discriminatoire de la disposition ne pouvait que fâcher l’UE. Pour ensuite passer à un élargissement tardif de la sauvegarde. Sur le plan de la crédibilité, le mal était fait. La clause de sauvegarde, un truc très utile à évoquer à condition de ne pas l’invoquer.

Et tout ceci dans une succession de gestes politiques qui, pour le moins, n’inspiraient pas confiance. Il suffit de rappeler cette réforme de la fiscalité des entreprises commise par Hans-Rudolf Merz, lequel avait agité avant le scrutin populaire ad hoc de 2008, des chiffres qui se révélèrent complètement erronés: les résultats étant gravement préjudiciables aux caisses fédérales.

Alors, on en est tout de même venu à renforcer les mesures d’accompagnement de la libre circulation des personnes, telles l’instauration de la responsabilité solidaire des entreprises lorsqu’elles recourent à des sous-traitants. Une disposition importante, mais qui arrive bien tard. L’UDC avait déjà installé son discours anti-migratoire. Et les réactions dans le domaine du logement, molles, ont été encore plus tardives.

C’en est au point que l’on s’étonne que le oui ne se soit pas propagé au-delà de l’espace germanique de l’UDC. La résistance, l’exception zurichoise le confirme, est alimentée par les bastions de la gauche. Ce qui signifie que les problèmes sont bien réels, mais qu’on ne s’est pas laissé prendre au miroir aux alouettes de l’UDC.

Ce scrutin, en plus, illustre la permanence du Röstigraben. Ainsi la Romandie se voit imposer une politique aventureuse. Pas une surprise, mais le sujet reste tabou en Suisse. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faille pas l’aborder, mais en lui-même. Il faudra donc y revenir.

On n’oubliera pas non plus que notre relation à l’Europe est l’enjeu central de ce scrutin. Pourtant l’Europe a été quelque peu absente de ce débat, pas complètement absente, mais périphérique. C’est un comble, mais c’est logique. Des années d’euroscepticisme dominant ont littéralement liquéfié la réalité européenne dans la tête des Suisses, aujourd’hui formatés «qualité suisse». Il faudra cependant d’autres qualités pour affronter les conséquences de cette initiative.

Commentaire paru dans “Courant d’Idées“.

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12 commmentaires à “Immigration, «tu l’as voulu…»”

  1. Michèle Herzog 10 février 2014 at 12:21 #

    Bonjour Monsieur, Vous citez la droite qui l’a bien cherché … Mais je ne comprends pas non plus la postion du PS concernant ce problème d’immigration. Il est bien clair que les entreprises ont engagé des immigrés à des salaires plus bas que ceux des employés suisses. Le PS fait un virage à droite (comme en France). Il soutient la politique des patrons au lieu de soutenir les travailleurs suisses. Vraiment étrange. Meilleures salutations. Michèle Herzog

  2. Bernard Walter 10 février 2014 at 13:38 #

    Ce que je vois dans cette histoire, c’est évidemment que quand on met les travailleurs à genoux, qu’on les traite comme de la marchandise à faire de l’argent, qu’on fait du chantage à la délocalisation, que l’on profite de la présence de gens venus d’ailleurs pour faire pression sur les salaires et les conditions de travail, forcément que le premier adversaire désigné va être l'”étranger”. Et qui est responsable de tout ça ? Le gros patronat et la finance en premier lieu, soutenus par un Conseil fédéral politiquement débile et servile.
    Avec ça, on se trouve dans une contradiction sans fin. La droite n’a que ce qu’elle mérite. La droite populiste, qui n’est pas autre chose qu’une méchante droite (Blocher est un pur libéral), rigole. Allez y comprendre quelque chose.
    Tirer la conclusion que nous avons affaire à un vote xénophobe, c’est un peu court. Il y a de ça bien sûr, mais il y a aussi un certain désarroi des travailleurs. Il est très exact, M. Kolb, que vous soyez étonné que l’initiative UDC n’ait pas fait un meilleur score en Romandie.
    Au final, je doute que ce vote rapporte grand chose aux travailleurs, étant donné l’état catastrophique de la morale politique et financière du capitalisme dominant.

  3. linceul 10 février 2014 at 14:52 #

    Manif contre la xénophobie: demain à Neuchâtel, 19h, Av de la Gare 3 salle UNIA

  4. linceul 10 février 2014 at 15:57 #

    L’initiative n’a pas passé en Romandie, parce que les Romands savent qu’Heidi n’existe pas, et que le pauvre Peter aimait particulièrement les chèvres et que les Romands sont insensibles aux chèvres.

  5. Caroline Daniels 11 février 2014 at 01:01 #

    Last Swiss referendum… 09/02/14

    Migration is of all times…
    Some people have the need / urge to move all the time, others move until they have found their destination, permanent or not…
    In all cases I’m convinced all persons on the move accept to adapt to their new situation, often and maybe mostly because of their basic needs for a different comfort whatsoever…
    In case “we” want societies to accept these natural transformations (and they are or sure could be called natural) we have to be tolerant and firm at the same time …
    Being tolerant means accepting migrant employment and implicitely means accepting migrants’ partners looking for a job, migrants’ children having the right to an education etc etc…
    Being firm means demanding basic adaptation of the guest, which will be totally approved in case he/she feels welcome…
    Whenever we arrive at the point of giving these extremely basic points a thought, we might get to a solution… Starting in Switzerland might give these thoughts wings worldwide …
    ©ca_daniels@hotmail.com

  6. Artémis 11 février 2014 at 18:16 #

    La Suisse prend de l’avance sur ses voisins européens? Au Tessin, on entend déjà dire, de la bouche même des Italiens, que beaucoup d’Européens auraient aimé pouvoir voter comme les Suisses. Dommage que le parlement européen n’ait pas choisi comme modèle de construction européenne, notre petit pays, avec ses multiples entités économiques, culturelles et linguistiques, au lieu de faire le contraire et d’imposer un système centralisateur, source de grandes tensions.

  7. linceul 12 février 2014 at 10:50 #

    M Suisse aime les étrangers, ma Suisse voit plus loin que ses montagnes, ma Suisse ne craint pas l’Europe, ma Suisse s’épanouit dans les échanges avec l’autre, ma Suisse ne construit pas des murs, ma Suisse est ouverte au monde, ma Suisse est allée à l’école, ma Suisse est humaniste, ma Suisse représente 49.7%

  8. Michèle Herzog 12 février 2014 at 18:55 #

    A Linceul: J’ai voté oui pourtant la majorité de mes amis sont étrangers. Mais la Suisse (8 millions d’habitants) a une surface restreinte car une grande partie est faite de montagnes. Il y a déjà en Suisse 23% d’étrangers. La Suisse ne peut pas accueillir des immigrés en masse. Il faut trouver une solution pour limiter cette immigration et la seule solution ce sont les contingents. Je ne pense pas que les citoyens qui ont accepté cette initiative l’on fait par xénophobie, mais par logique pour que les Suisses (surtout les jeunes) puissent trouver du travail dans la région et que leur salaire leur permette de payer un logement et de vivre de façon convenable. Cela fait partie d’une notion de développement durable (meilleure répartition des richesses entre patrons et travailleurs) et ce n’est pas si grave si l’économie ralentit. Meilleures salutations.

  9. Bernard Walter 12 février 2014 at 22:09 #

    J’aime bien ta Suisse, Linceul.

  10. linceul 13 février 2014 at 12:12 #

    Merci Blocher, vous nous donnez un bon prétexte pour ne pas appliquer cette initiative.

  11. Arnaud Nemoz 13 février 2014 at 13:27 #

    Cet amalgame en ma tête me rappelle une part de ma vie, mettant de côté la gestuelle embrumant tant d’âmes. Loin de résister seulement à Satan, l’immigration a permis il y a un temps de combler le manque de travaux et de réalisation parmi le peuple Suisse, que je considère loin d’être une merde.

    Qu’il revienne, le temps où ces questions n’étaient que secondaires ! A croire que je suis prisonnier de “Civilization” qui était l’un des jeux auxquels je jouais le plus. Car il est plus facile.

    Linceul : ma Suisse résiste, ma Suisse attend, ma Suisse représente la majorité de l’année citée. La nouvelle bombe médiatique n’est pas encore d’actualité, selon les agences, trop d’agences, on signe trop de pactes avec l’Europe. Comme le montrent Grèce, Portugal et autres contrées, aujourd’hui déclinantes.

  12. Michèle Herzog 13 février 2014 at 13:46 #

    A Linceul: Votre calcul est faux. 49,7% des citoyens ayant voté ont refusé l’initiative. Mais il faut aussi tenir compte du pourcentage de citoyens qui n’ont pas du tout voté. Je crois que c’est 44% ! Concernant cette immigration de masse, je pense qu’il serait plus judicieux d’aider ces gens dans leur pays pour qu’ils développent leur économie et leur agriculture. En Suisse, on pourrait proposer de former des apprentis immigrés, à condition qu’ensuite ils retournent dans leur pays et forment à leur tour des apprentis dans leur pays. Il est temps de mettre sur pied un système de collaboration et d’aide. Meilleures salutations.

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