Le projet de pôle muséal est un poignard planté dans le coeur de Lausanne


La commission du Grand Conseil vaudois recommande l’octroi de crédits au pôle muséal sur le site de l’ancienne halle aux locomotives. Pendant ce temps le coeur de Lausanne continue de saigner.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

C’était au moment des adieux de la municipale Silvia Zamora. Juste avant de quitter la scène politique, la cheffe de la culture lausannoise publiait son testament: l’idée d’un vaste projet, le réaménagement de la Riponne. «Lausanne a un plan d’enfer pour redessiner la Riponne», titrait, tout feu tout flamme, «24 Heures» le 18 février 2011. Deux ans plus tard, jour pour jour, on attend toujours l’esquisse du bâtiment prévu pour installer la bibliothèque municipale. Un lourd silence s’est installé sur la place du centre-ville, plus que jamais livrée à elle-même.

A se demander une fois de plus ce qui a motivé le Conseil d’Etat dans sa décision d’écarter le projet architectural Musée-Cité des architectes Jean-Lou Rivier et Blaise Sahy. Ce dossier susceptible de revaloriser la Riponne, élaboré en plein accord avec la société qui exploite le parking sous la place, avait été retenu par la commission d’experts mandatée pour évaluer les sites du futur musée cantonal. Mais en 2009, le gouvernement choisissait envers et contre toute logique l’emplacement de l’ancienne halle CFF aux locomotives, condamnant à la destruction une bâtisse inscrite au patrimoine.

Vers une explosion des coûts

L’assassinat des halles est aussi un poignard planté dans le coeur de la ville. Le pôle muséal, s’il voit le jour (déposé par le Collectif Gare, un recours contre ce projet est pendant devant le Tribunal fédéral), coûtera au bas mot 200 millions de francs. Les dépassements inévitables couduiront la facture à une explosion. Le peuple vaudois est-il si riche qu’il puisse se permettre des dépenses inconsidérées? On comprend en tout cas que le projet Riponne, amputé de l’argent qui lui reviendrait, continue de végéter.

C’est bien dommage car la Riponne mériterait un meilleur destin. Les photos des années 20 nous montrent un espace remplissant une mission rassembleuse avec, au centre, la Grenette, pittoresque construction à colonnades, utilisée pour les expositions organisées par les créateurs du lieu. En 1933, la Grenette est détruite sur l’autel de grands aménagéments lausannois. Un plongeon dans les archives de la “Gazette de Lausanne” en apporte l’explication: éblouis par les «splendeurs» néoflorentines du palais de Rumine, des élus la snobent et réclament plus de place pour les commerçants. Chassés des endroits où ils entravent la circulation routière, forains, maraîchers et agriculteurs doivent pouvoir se replier en un lieu qui rapportera plus d’argent à la commune, estiment en substance ces députés. Tant et si bien que le 17 mai 1933, la municipalité met en soumission les travaux de démolition de la Grenette.

Mal lui en prit car il ne fallut pas plus de quelques mois au monde culturel de la région pour réaliser à quel point on l’avait dépossédé d’un lieu unique en son genre. «Depuis la disparition de la Grenette, les artistes ne savent plus où exposer», se lamentent les peintres, sculpteurs et architectes réunis au sein de leur association faîtière, dans un article de la «Gazette de Lausanne», daté du 19 décembre 1933. Autre signe révélateur, au même moment paraît aux Editions Spes un livre d’estampes, signé H. Krönig, consacré à feu la Grenette, «vision pittoresque du vieux bâtiment, marché grouillant de couleurs et de gestes».

Capitale du monde?

Ce mardi 18 février 2014, une commission parlementaire ad hoc, affichant un score stalinien, a recommandé au Grand Conseil d’approuver trois demandes de crédit destinées à la construction du pôle muséal sur le site de l’ancienne halle CFF. Tous les députés moins un ont souligné l’«opportunité pour Lausanne, le canton de Vaud et la Suisse de briller dans le paysage international  de la culture». Un vote considéré comme une “mascarade” sur sa page Facebook par l’unique “dissident”, le centriste veveysan Jérôme Christen: “Si la politique urbanistique lausannoise est pourrie au point que l’on renonce au site jugé le plus adapté par un groupe d’experts qui ont analysé plusieurs sites à Lausanne et dans le canton, on ne peut alors que regretter que le choix ne soit pas porté sur un site hors de la capitale.”

Capitale du sport, capitale olympique, capitale des équipées nocturnes, capitale des musées… Capitale du monde, tant qu’à faire? La commission parlementaire a relevé la «cohérence» du projet du pôle muséal. Qu’elle nous permette de la contredire. Car c’est plutôt d’incohérence qu’il faudrait parler. Contrairement à la Riponne, le site de la halle des CFF comporte beaucoup plus de désavantages que d’avantages. Et s’il faut parler de cohérence, c’est plutôt dans l’option privilégiée par les experts du groupe d’évaluation qu’il convient de la trouver. La Riponne s’impose naturellement, ne serait-ce que parce que le centre-ville s’est désengorgé. Les voitures ont été canalisées, les zones piétonnes développées. La construction du métro lausannois a achevé d’accélérer et de fluidifier les déplacements.

Les étals des commerces peuvent renaître là d’où on les avait chassés dans les années d’avant-guerre. Et la Riponne retrouver sa vocation d’antan. Du temps où la Grenette éclairait les après-midis blafards des poètes.

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3 commmentaires à “Le projet de pôle muséal est un poignard planté dans le coeur de Lausanne”

  1. Panda 19 février 2014 at 09:32 #

    ” …en 2009, le gouvernement choisissait envers et contre toute logique l’emplacement de l’ancienne halle CFF”: il n’est plus temps de jouer l’étonnement! Nous serions bien naïfs de nous contenter d’un tel “envers et contre toute logique”.

    Le score Stalinien est l’évidence d’une logique cachée, et l’absence de débat signe d’une logique non avouée, si tant est qu’elle serait avouable. Les intérêts immobilio-financiers sont énormes, et le bonus pour CFF Immobilier n’a fait l’objet d’aucune information au public.

    Il serait en effet bien difficile pour la pseudo-régie fédérale de détruire sans un alibi culturel la Halle aux locomotives, protégée en classe 2. Sous son manteau de bienfaiteur des arts, CFF Immobilier tente de faire porter la responsabilité de cette destruction aux autorités locales, obtient en échange à Malley un terrain idéalement placé et rapidement constructible, alors que les contribuables locaux payent aux CFF des intérêts pour la “non utilisation” du terrain de la Halle aux locomotives. Qui sait, les CFF sauront peut-être, avec un talent déjà démontré dans la région Zurichoise, transmuer la friche industrielle de Malley en or, pactole qui comme sur les bords de la Limmat pourrait bien finir en mains privées.

    La logique par laquelle l’intérêt de CFF Immobilier semble faire oublier à nos édiles l’intérêt local devra bien finir par être mise à jour … espérons-le avant que nos impôts ne soient engloutis dans un projet emballé d’un prestige à faire rigoler Jean Villard Gilles… dans le style: “Ils oubliaient tout simplement … la Riponne”.

    Je sens déjà ma poitrine se gonfler de fierté, pas vous?

  2. passagère 19 février 2014 at 17:30 #

    Les millions valsent autour de tous ces projets , musées,stades, lignes CFF ….. Mais quand il s’agit d’engager un peu plus de fonctionnaires pour veiller à ce que les lois votées soient appliquées ( Schengen par ex. ) on n’a plus les moyens … la conséquence on la trouve dans le résultat du vote de ce 9 février.

  3. magnin Eric 21 février 2014 at 23:53 #

    Panda@ …surtout que le projet retenu sur le site de Malley dans le cadre d’un concours d’architecture propose un bâtiment tour! Encore une tour qui se profile en dehors de toute réflexion urbanistique d’ensemble. D’autres projets de grande qualité ont été abandonnés car ils n’envisageaient pas de bâtiments de grande hauteur à cet endroit! Les élus de l’exécutif lausannois cautionnent ainsi avec ses services des projets qui se contentent de la multiplication des m2, bénéficiant uniquement à des tiers! Le dernier échange en date de “nos” élus, celui du site de Beau-Séjour avec un périmètre sur la plateforme du Flon! Le promoteur le LO pleurait en proclamant qu’il avait perdu au change! Au final, qui se graisse au passage?

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