Discrimination raciale, la Suisse se fait tirer l’oreille à l’ONU


Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU vient de livrer ses recommandations sur la situation en Suisse. Bilan: pourrait mieux faire.

PAR MICHEL BÜHRER

Notre pays devrait notamment veiller à ce que les initiatives populaires soient compatible avec ses obligations internationales sur les droit de l’homme.

Les hasards du calendrier sont parfois ironiques. Quelques jours après la votation du 9 février sur l’immigration de masse, la Suisse présentait son rapport périodique sur l’élimination de la discrimination raciale au Comité des Nations Unies chargé de vérifier son application. Le rapport, publié le 21 février, couvrait les années 2011 et 2012, mais l’ombre du 9 février a plané sur les discussions, suscitant des interrogations sur ses conséquences. Dans ses recommandations, le Comité incite la Suisse à «intensifier ses efforts pour introduire un mécanisme effectif et indépendant» afin de vérifier la compatibilité des initiatives populaires avec les engagements internationaux du pays en matière de droits de l’homme. En cause, bien que non mentionnées, les initiatives sur l’interdiction des minarets et sur le renvoi des étrangers criminels.

Le Comité, formé de 18 experts internationaux, a relevé que la Suisse n’avait pas encore traduit toutes les dispositions de la Convention dans son système juridique (lors de son audition la délégation suisse a fait valoir que dans les faits les exigences de la convention étaient respectées). Les experts ont souligné que le Code pénal suisse ne contenait toujours pas de définition claire de la discrimination raciale. De plus, il devrait prévoir que le caractère raciste d’un délit consitue une circonstance aggravante.

Le Comité s’est inquiété du fait que l’article du Code pénal traitant de la discrimination raciale (261 bis) soit interprété de manière trop restrictive. De plus, il regrette que seule la victime puisse porter plainte et non une association en son nom. Il souligne aussi l’absence de statistiques fiables au niveau national sur les incidents à caractère raciste (logement, marché du travail, écoles). Une telle base de données permettrait de mieux assurer l’application des droits pour tous prévus par la Convention.

La Suisse n’a toujours par créé d’institution nationale des droits de l’homme et les experts de l’ONU « réitèrent leurs recommandations précédentes » afin qu’elle s’y plie. Ils suggèrent aussi que la Commission fédérale contre le racisme soit dotée de moyens suffisants pour remplir son mandat.

Une série d’autres recommandations reflètent les débats qui ont eu cours dans notre pays ces dernières années concernant notamment l’attitude des médias et du public vis-à-vis des Africains ou des Roms, ainsi que des musulmans, des requérants d’asile et des immigrants en général. Cette remarque concerne aussi les forces de police (profilage racial). Le Comité enjoint l’Etat à prendre des mesures dans tous les domaines afin de prévenir la stigmatisation et à mettre sur pied  des mécanismes de plainte indépendants.

Les positions du Conseil d’experts sont, comme leur nom l’indique, des «recommandations» que les pays suivent ou non. Cela explique que certaines d’entre elles se retrouvent dans chaque examen. Les experts ont noté quelques progrès depuis le dernier rapport de la Suisse, dont l’établissement du projet pilote de Centre de compétence pour les droits humains, le lancement d’un programme d’intégration en janvier 2014 par l’Office fédéral des migrations et la ratification de deux protocoles de conventions (contre la discrimination à l’encontre des femmes et contre la torture). Par contre, il est certain que la question des initiatives figurera dans le prochain exercice: après plusieurs années d’études, le Conseil fédéral a annoncé mercredi 19 février 2014 qu’il renonçait à ses tentatives de vérifier la conformité des initiatives populaires avec les droits de l’homme.

NOTE:

Le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale est formé de 18 experts indépendants (ad personam). Sa fonction est de contrôler les rapports des Etats sur l’application de la Convention, rapports qui doivent être présentés tous les deux ans selon le règlement. Dans les faits, ces délais sont rarement tenus. Le dernier rapport de la Suisse couvrait six ans.

Liens:

Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination raciale

http://www.humanrights.ch/fr/Instruments/ONU-Organes/CERD/index.html

Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

http://www.humanrights.ch/fr/Instruments/ONU-Traites/Racisme/index.html

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Un commentaire à “Discrimination raciale, la Suisse se fait tirer l’oreille à l’ONU”

  1. Schindler 25 février 2014 at 18:41 #

    Le Comité a bien sûr raison de tirer les oreilles de la Suisse, notamment à propos des initiatives sur les minarets et le renvoie des criminels étrangers. Le problème, c’est que la compatibilité des initiatives avec l’engagement de la Suisse avec les droits de l’homme est jugé par les juristes de la Chancellerie fédérale et non par le Tribunal fédéral, qui a une autre autorité que des fonctionnaires.

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