France, gouvernement La Bricole


Les Français sont, paraît-il, les champions du bricolage.

PAR MARC SCHINDLER

Non, je ne vous parle pas de votre voisin qui se construit une baraque de jardin. Ni de votre beau-frère, qui repeint sa cuisine. Encore moins de votre cousin, qui refait le carrelage de son séjour. Les bricoleurs dont je vous parle sont les membres du gouvernement. Le premier ministre Jean-Marc Ayrault et son ministre du Travail, Michel Sapin, sont les rois du bricolage! Je plaisante? Pas du tout. Si gouverner, c’est prévoir, l’aimable premier ministre n’a rien prévu, question travail du dimanche dans les magasins de bricolage. Il se contente de bricoler en pondant décret sur décret. Résultat: il se fait retoquer par le Conseil d’Etat (la plus haute juridiction administrative) et se prend en pleine figure la colère des enseignes de bricolage et des syndicats.

Résumé des épisodes précédents, pour ceux qui n’ont pas suivi le feuilleton bien français de l’ouverture domicile des magasins de bricolage. En principe, le dimanche est jour de repos pour tous les salariés. Sauf, bien sûr, pour les policiers, les infirmières, les service d’urgence, les journalistes notamment. Selon le ministère du Travail, cela fait plus de 8 millions de salariés, 30% du total. Pour les autres, il y des dérogations. Et c’est tellement compliqué qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Pour y voir clair, le gouvernement a refilé la patate chaude à un expert, Jean-Claude Bailly, l’ancien patron de la SNCF et de la Poste, en lui demandant de clarifier la situation juridique. Le travail du dimanche, en France, c’est ce qui se rapproche le plus d’une usine à gaz. Jugez plutôt: il y a d’abord, les secteurs qui bénéficient d’une «dérogation de plein droit au repos dominical». Ca s’appelle en langage administratif «les 5 dimanches du maire». Dans chaque commune, le maire peut autoriser le travail cinq dimanches par an pour les fêtes, les soldes et autres foires. En plus, les commerces situés en zone touristique ou certaines commerciales peuvent ouvrir le dimanche. Par exemple, à Paris, les magasins chics des Champs-Elysées peuvent ouvrir le dimanche, pas pas ceux des grands boulevards. Ca va, vous suivez?

L’excellent M. Bailly, qui est devenu la bête noire du parti communiste après sa désastreuse direction de la Poste, réaffirme que la spécificité du dimanche doit être respectée. Mais, dans la  foulée, il propose d’augmenter le nombre autorisé de dimanches travaillés de cinq à douze. Le nombre maximal de dérogations accordées par le maire passerait ainsi de cinq à sept et les commerçants auraient aussi la possibilité de déroger cinq fois par an à la règle du repos dominical, sous réserve d’une obligation de déclaration préalable auprès du maire, indique-t-il dans son rapport. Il suggère aussi de remettre totalement à plat” les zones autorisées à ouvrir, avec une loi organisant les modalités de fixation des périmètres et d’octroi de contreparties” pour les salariés concernés. Mais il refuse de nouvelles dérogations permanentes pour des secteurs comme le bricolage, qui avait relancé la polémique en septembre, et propose même de revenir sur celle octroyée à l’ameublement. En clair: d’accord pour l’ouverture du dimanche, mais à condition que les salariés soient volontaires et qu’ils touchent une compensation. Vous êtes toujours avec moi?

C’est là que le gouvernement La Bricole entre en jeu: en attendant une nouvelle loi, il promulgue, le 30 décembre dernier, un décret autorisant l’ouverture du dimanche des magasins de bricolage jusqu’en juillet 2015, «dans le souci d’apaiser la situation». Les magasins de bricolage se frottent les mains, fureur des syndicats qui saisissent le Conseil d’Etat. C’est pas légal, on ne peut pas déroger au repos du dimanche pour une durée limitée. Pan sur le nez du gouvernement, qui annule le décret et en promulgue un autre – le même, mais sans limite dans le temps. Du grand Guignol? Pas du tout. «it’s the economy stupid!» comme le disait Bill Clinton. Derrière cette querelle de bricolage, il y a un marché de 24 milliards d’euros, qui emploie 70 000 salariés, et des géants comme Leroy Merlin, Castorama ou Price Depot, qui entendent bien défendre leur bout de gras et leurs marges de 34%. L’an dernier, leur chiffre d’affaires a plongé de 12%. Les Français ont moins de pouvoir d’achat, à cause de la crise, l’immobilier est en panne et la météo a été exécrable. Alors, les géants du bricolage mettent le turbo. Ils ouvrent le dimanche, même sans autorisation, et ils paient une amende. Ils organisent des manifs de salariés qui proclament: «Je veux bosser le dimanche!» Ils mobilisent des experts qui affirment que le bricolage du dimanche fait partie du génie français, que mon voisin, mon cousin et mon beau-frère risquent de ne plus pouvoir bricoler le dimanche s’ils leur manquent clous, pinceaux ou carrelage. Du coup, les syndicats multiplient les référés auprès du Conseil d’Etat. Bref, la guerre du tournevis et de la colle du dimanche est déclarée! Quand il s’agit de gros sous, l’armistice n’est pas pour demain.

L’auteur est journaliste suisse à la retraite dans le Gard.

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