France, l’envolée des robes noires


Il y a comme un envol de corneilles au-dessus de l’Hexagone.

PAR MARC SCHINDLER

La France assiste, un peu effarée, à une comédie du pouvoir qui mobilise la crème du barreau, le Syndicat de la magistrature, la Garde des Sceaux et même le président de la République. Excusez du peu! De quoi s’agit-il? Je résume à l’intention de celles et ceux qui peinent à suivre ce feuilleton politico-judiciaire.

Depuis plus d’un an, des juges d’instruction enquêtant sur un éventuel soutien financier de la Libye à sa campagne présidentielle de 2007 ont mis sur écoute un ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, d’ailleurs avocat, et deux anciens ministres de l’Intérieur, Brice Hortefeux et Claude Guéant. Rebelote: l’avocat de Sarkozy, Me Herzog, soupçonné de trafic d’influence et de violation du secret de l’instruction, est lui aussi écouté. En marge de cette enquête, les juges constatent que l’ancien président suit très attentivement l’avancement, à la Cour de cassation, du dossier sur la restitution de ses agendas saisis dans le cadre de l’affaire Bettencourt – où il a obtenu un non-lieu en octobre 2013 –, mais qui resteront en main de la justice. Autre tuile: selon le «Monde», «la Cour de cassation a validé la quasi-totalité de l’enquête dans l’affaire Bettencourt menée par le juge d’instruction bordelais Jean-Michel Gentil. Les magistrats de la haute juridiction lèvent ainsi l’un des derniers obstacles à la tenue d’un procès, qui pourrait s’ouvrir dès cette année.» Décidément, ça sent mauvais pour l’ancien président de la République. Jusqu’à maintenant, les juges n’ont trouvé aucune preuve contre Sarkozy. Alors, ses amis dénoncent un acharnement judiciaire et politique des juges, pour empêcher le retour de leur candidat.

C’est là qu’interviennent les avocats. Pas seulement celui de Sarkozy, mais une centaine de maîtres du barreau, de droite comme de gauche. Comme le dit un proverbe allemand: «A la fourche, on reconnaît le paysan, au bec l’avocat.» Ils hurlent dans les médias à la violation de secret de l’instruction, que plus personne ne respecte en France depuis des dizaines d’années. “Que le secret professionnel, socle de la défense, garantie fondamentale des libertés individuelles dans un Etat de droit, fasse l’objet d’atteintes graves et répétées, menace l’essence même de notre profession d’avocat et son indépendance », proclament gravement les robes noires. Le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris en appelle même au président de la République, qui a promis de lui répondre.

On s’indignerait avec les avocats, mais quand on apprend que Me Herzog, l’avocat de Sarkozy, correspondait avec son client avec un téléphone enregistré sous un faux nom pour ne pas être écouté, on doute. Comme le disait Pierre Dac: «Un accusé est cuit quand son avocat n’est pas cru». D’accord, Sarkozy n’est accusé de rien, seulement soupçonné. Mais l’indignation des avocats serait plus crédible si leur confrère était au-dessus de tout soupçon et si les écoutes ne concernaient pas des suspicions graves. Surtout, on se demande s’ils ont ouvert récemment le Code de procédure pénale, qui stipule à l’article 100: «En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d’emprisonnement, le juge d’instruction peut, lorsque les nécessités de l’information l’exigent, prescrire l’interception, l’enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications. Ces opérations sont effectuées sous son autorité et son contrôle. La décision d’interception est écrite. Elle n’a pas de caractère juridictionnel et n’est susceptible d’aucun recours.» La loi prévoit aussi que le juge d’instruction doit informer le bâtonnier lorsqu’il met un avocat sur écoute. Bref, comme le rappelle le premier ministre et sa Garde des Sceaux, les avocats sont protégés dans leurs activités professionnelles, mais ils ne sont pas au-dessus des lois. Peut-être Me Sarkozy et son conseil, Me Herzog, devraient-ils aussi relire Balzac, qui écrivait, le mauvais esprit: «La gloire d’un bon avocat consiste à gagner de mauvais procès».

L’auteur est journaliste à la retraite dans le Gard.

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