Vu de France, un Griffon à la sauce suisse


Les fabricants d’avions de combat sont des poètes qui s’ignorent.

PAR MARC SCHINDLER

Gripen (Griffon), Rafale, Mirage, Tomcat (Matou), Raptor (Rapace), Fighting Falcon (Faucon combattant), Eagle (Aigle), des noms martiaux pour des merveilles technologiques à 100 millions pièce. Le plus dur n’est pas de les fabriquer, c’est de les vendre. Ce qui fait saliver les constructeurs, c’est le marché suisse, un petit pays neutre qui ne fabrique pas d’avions de combat, mais qui en achète à l’étranger en bons francs suisses. Mais les Suisses ne font jamais rien comme les autres. Au lieu de faire confiance à leur gouvernement et à leur Parlement, ils vont voter un crédit de 3 milliards pour acheter 22 avions de combat suédois Gripen (Griffon). Vous imaginez ça: c’est comme si le gouvernement demandait aux Français s’ils voulaient financer leRafale, «le meilleur avion de chasse du monde», selon Dassault. Cette merveille technologique à 100 millions d’euros pièce n’a jamais trouvé d’acheteur à l’étranger. Le Brésil, les Emirats arabes, le Maroc et même les Suisses ont dit: non merci, on préfère le Gripen, 25% moins cher. Les ingrats, après tous les efforts et les cadeaux proposés par la maison Dassault! Résultats des courses: c’est le contribuable français qui devra financer ces coûteux joujoux: onze en 2014, encore six en 2016, sans compter 1 milliard d’euros pour moderniser l’avion. Pour quoi faire? Silence dans les rangs!

Revenons à notre Gripen. Il semble avoir du plomb suisse dans l’aile. Le Parlement helvétique avait dit OK. Mais les socialistes, les Verts et le Groupement pour une Suisse sans arméeont lancé un referendum «Non aux milliards pour des avions de combats»: trop cher, trop risqué, inutile. Il n’y a qu’à moderniser les vieux F/A-18 américains qui pourront voler jusqu’en 2030. C’est le peuple qui aura le dernier mot. Ils sont fous, ces Suisses:  où va la patrie si c’est M. Bolomey et Mme Schmitt qui décident des choix stratégiques? Eh bien, ça se passe comme ça au pays du coucou et du chocolat.

Evidement, pour le ministre de la Défense, la droite et le patronat, le Gripen n’est pas du luxe, c’est une nécessité pour assurer le ciel suisse 24 heures sur 24 et faire face aux menaces. N’importe quoi, répliquent les anti-Gripen: la facture finale sera de 10 milliards et les caisses sont vides. Et ils dégainent l’argument qui tue: le Gripen est un dragon de papier, ce n’est qu’un prototype en développement.

Comme à chaque achat d’avions de combat, la bataille du ciel fait rage entre les constructeurs, à coup de promesses, de manoeuvres et de coups bas. Les militaires suisses préféraient le Rafale, la Ferrari du ciel. Ils avaient pondu un rapport assassin sur le Gripen, que le ministre de la Défense s’est empressé d’enterrer, mais qui a miraculeusement atterri dans la presse. Selon eux, l’avion suédois est incapable de remplir les missions prévues: « le nouvel avion dont la Suisse compte s’équiper à partir de 2016 pour 3,1 milliards de francs, et qui doit rester en service jusqu’en 2035 au moins, sera moins performant que le F/A-18, entré en service en 1997 et régulièrement mis à jour. (…) Pour les missions de défense contre avion (DCA) ainsi que celles d’attaque au sol, les capacités du Gripen choisi par le Conseil fédéral ont là encore été jugées insuffisantes». Dassault a bien essayé de casser les prix du Rafale, mais le ministre suisse de la Défense a tranché: trop cher, on prend le Gripen. Selon le président du Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité, «le Rafale et l’Eurofighter sont des sortes de limousines haut de gamme, le Gripen est un bon 4X4 “middle class”, qui passe partout et peut tout faire. C’est le choix parfait

L’argument massue des partisans du Gripen n’est pas militaire, il est économique. Si les Suisses choisissent le Gripen, le constructeur Saab va conclure des contrats avec des société suisses pour 100% de la valeur de l’avion. C’est ce qu’on appelle des «affaires compensatoires». SelonArmasuisse, la direction de l’armement: Elles servent à générer des volumes supplémentaires de commandes et d’exportations, mais surtout à générer des chiffres d’affaires supplémentaires. Certes, elles ne doivent pas forcément être directes – servir au Gripen lui-même – et peuvent être indirectes – se traduire par des commandes civiles ou du transfert de technologie». En gros: tu m’achètes mon avion 3 milliards et je donne 2,5 milliards de commandes à tes ouvriers, c’est donnant-donnant.

Malgré cet avenir radieux, selon les derniers sondages, les Suisses rejetteraient à 62% l’achat du Gripen. Mauvaise pioche pour le ministre de la Défense, Ueli  Maurer: 49% des électeurs de son parti, l’Union démocratique du Centre (UDC), sont aussi contre le crédit de 3 milliards. Le principal journal suisse du dimanche titre même, vachard: Bonjour, Monsieur Maurer, ceci va vous fâcher». Le Gripen tombe mal, le 18 mai, les Suisses vont aussi voter pour un salaire minimum de 4000 francs, ce qui est accepté par 52% des sondés. Les Suisses vont devoir choisir: des milliards pour les avions ou les salaires.

L’auteur est journaliste retraité dans le Gard.

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3 commmentaires à “Vu de France, un Griffon à la sauce suisse”

  1. Barillon 4 avril 2014 at 14:08 #

    Trop cher, donc on fait des économies sur des points aussi litigieux. Le Grippen n’est pas adapté à la Suisse ou aux missions confiées. On n’achète pas un avion pour son prix mais pour la mission qu’il se doit de remplir. On achète ensuite une quantité adaptée à un budget. Les F/A-18 étaient des avions, le Grippen un fer à repasser. Désolé, mais en toute conviction.

  2. Arnaud Nemoz 7 avril 2014 at 14:06 #

    Tout a fait d’accord,

    Arnaud Régis Childéric Némoz

  3. Arnaud Nemoz 7 avril 2014 at 15:24 #

    Les Grippen(s) sont dans des bases militaires, en général. Il y a eu des défilés devant chez moi, quoique je ne les regardais qu’à moitié. Au final, ils en ont quand même plus (d’avions), pour la protection du territoire.

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