J’en ai marre de la hauteur rampante des débats sur les réseaux dits sociaux, des commentaires lapidaires, revanchards, délétères, mauvais, méchants, lus au bas des textes de la “presse en ligne” et des blogs.
PAR PIERRE CREVOISIER
Le phénomène prend de l’ampleur. A croire que l’on ne peut plus parler ou écrire sans risquer l’anathème, l’exclusion, l’invective, le vomi au coin des phrases.
Je ne dois pas être le seul à ressentir le malaise grandissant qui s’installe, comme une peste, dans la perpétuation de ce genre d’échanges. Mais peut-on encore qualifier d’échange l’insulte comme seule forme de langage, le mépris comme unique attitude, le crachat pour marteler ses phrases, hausser le ton et le menton?
Il suffit que l’autre dise un mot qui déplaise, une pensée qui dérange, prenne la défense d’un autre camp, soutienne une autre thèse, en taise une autre, pour que la machine à morve se mette en route.
Prenez les parlementaires qui ont refusé l’initiative “marche blanche”. Un site publie la liste avec ce titre “Retenez bien les noms (et quelques photos) des parlementaires se prononçant CONTRE l’initiative qui empêcherait les pédophiles de travailler avec des enfants”. Le sous-entendu, c’est “souvenez-en la prochaine fois que vous voterez”. Mais il y a aussi la tendance à délation, la tentation du pilori, l’appel à vindicte populaire. A témoin, les commentaires qui suivent, qualifiant celles et ceux qui doutent de la justesse du texte de “salopards”, une “mafia politique” qui refuse “de protéger les petits enfants contre les prédateurs de leur innocence”.
Mon propos n’est pas ici d’entrer dans le vif de ce sujet-là. Il est de parler de la manière dont les débats se déroulent. La discorde devient la règle. On ne parle plus, on insulte d’abord, on tire ensuite. Et la tendance est lourde.
L’univers virtuel, parfois par la simple distance numérique, favorise cette forme d’expression. Derrière un écran, j’ai l’illusion d’être inatteignable, à l’abri des regards. Ajoutez l’anonymat, le pseudo derrière lequel d’aucuns masquent l’identité, le cache-sexe des courageux, et vous obtenez cela: un marais de mots, une foire d’empoigne, un exutoire de toutes les frustrations du monde, un champ de déshonneur, une poubelle de sentiments malsains.
Bon, c’est bientôt le temps des cerises. Je pourrai cracher les noyaux.
L’auteur est écrivain et journaliste à la radio romande. Il a publié l’an dernier son premier roman, “Elle portait un manteau rouge”, aux éditions Tarma. Article paru dans “Courant d’Idées“.
Cher Pierre,
Absolument d’accord avec toi. Le soi-disant débat sur les réseaux sociaux n’est qu’un défouloir de bassesses et d’insultes. J’en fais l’expérience dans mes blogs pour Le Monde et Mediapart, heureusement pas pour La Méduse. Sur les réseaux sociaux, le but n’est pas de convaincre, mais de détruire et d’humilier. L’usage de pseudos assure l’impunité. Je suis pour l’interdiction totale de pseudo : si on a quelque chose à dire, il faut avoir le courage de son opinion en signant de son nom. Lorsque j’étais journaliste dans la presse – “Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître” – les lettres anonymes n’étaient jamais lues et finissaient à la corbeille. Bien à toi.
Que le temps passe ! Votre titre me rappelle un des tous premiers fils que j’ai vu à savoir “J’irai cracher sur vos tombes” avec comme acteurs entre autres Antonella Lualdi, Claude Berri etc
Merci pour votre article dont je partage entièrement votre avis et je signe toujours mes commentaires.
Bonjour,
Vous avez mille fois raisons… et c’est effectivement de pire en pire. On disait d’internet qu’il avait créé un espace de liberté de paroles, mais la pression des hargneux du clavier tend maintenant à décourager l’expression…
A mon sens, il y aurait une solution qui pourrait aider, en plus de l’abandon de l’anonymat, pour nettoyer quelque peu les écuries d’Augias : séparer les espaces où sont publiés les articles ou les billets et les espaces donnant lieu à débat. Cela permettrait d’aller lire des textes sur des pages non-polluées et je peux aussi imaginer que les débats seraient différents s’ils n’étaient pas prétextes à s’attaquer trop facilement à l’auteur de l’article ou aux personnes mentionnées. Notamment parce qu’il faudrait alors faire l’effort d’aller écrire sur un forum dédié au thème et prendre le risque de lancer la discussion (pas seulement de réagir).
Mon cher Pierre,
Comme je te comprends. Je nuancerais pourtant… Autrefois, “le commun” ne pouvait guère s’exprimer dans l’espace public. Dans le meilleur des cas, il pouvait avoir le plaisir de voir sa prose publiée (et raccourcie !) sous forme de “lettre de lecteur”. Dans les grands jours seulement !
En cas de pénurie, il m’a même été demandé par une Rédaction d’en inventer (pour un hebdomadaire très réputé) pour remplir la béance saisonnière de la rubrique …et animer le “dialogue” avec les lecteurs. (lol)
Aujourd’hui les “clercs” ne sont plus les seuls à vouloir et pouvoir pondre des avis dans l’espace public alors qu’ils étaient les seuls légitimés à le faire, avec les avocats dans les prétoires, les pasteurs en chaire, les professeurs du haut de leurs altières tribunes…
Oui, le monde a changé avec l’avénement de l’Internet.
Désormais, les patients qui vont consulter un médecin, brandissent souvent leur propre diagnostic…glané sur le Net avant que leur doc n’ait le temps de sortir son sthétoscope. Certains le prennent très mal…
Oui, nous, journalistes et photo-reporters , avons perdu une partie de notre pouvoir et de notre monopole à l’ère des smartphones capables de communiquer, d’envoyer et de recevoir des textes et des images d’actualité…FB est un torrent de boues où scintillent parfois quelques pépites d’or…
Je vois pourtant pour ma part dans cette mutation brutale et souvent cruelle un progrès… même si le système produit effectivement des scories, parfois toxiques et délétères.
Le bilan me paraît positif quand même au final.
En ce qui concerne les pseudos, comme professionnel de la plume et en jetant un coup d’oeil dans le rétroviseur, j’ose me hasarder à affirmer qu’ils sont souvent souhaitables et nécessaires.
Je me suis même risqué à pondre un texte intitulé “Eloge des pseudos”.
Cette prose hérétique et délicieusement subversive se trouve ici:
http://tinyurl.com/9afzwbe
jaw
PS: Pas encore fini ton roman “Elle portait un manteau rouge”. EXCELLENT ! Merci !