À la mémoire de Gilbert Etienne


Professeur honoraire à l’IHEID, Gilbert Etienne s’est éteint dans la nuit du 17 mai 2014.

PAR JEAN-LUC MAURER

Né en 1928 à Neuchâtel, il a d’abord fait des études en droit à l’université de sa ville natale où il a obtenu une licence en 1951. Esprit ouvert et curieux des choses du monde, il avait déjà commencé à se passionner pour l’Inde et a alors poursuivi ses études à Paris où il a fait en 1954 son diplôme à l’Institut des langues et civilisations orientales. Dans l’intervalle, il avait effectué en 1952-53 une première année de séjour en Inde et au Pakistan pour recueillir les données nécessaires à la rédaction de la thèse de doctorat sur l’économie et la population indienne qu’il défendra à Neuchâtel en 1955.

En 1956 il repart s’installer avec sa famille à Bombay où il travaillera jusqu’en 1958 comme représentant de la marque horlogère suisse Favre-Leuba. De retour à Genève, il entre en contact avec Jacques Freymond, directeur de l’IUHEI, qui, voulant ouvrir l’Institut à l’étude des pays en voie de développement, lui confiera une charge de cours sur ces questions. Il élargira dès lors son champ d’études en publiant intensément sur l’Inde et le Pakistan, mais aussi sur la Chine. La comparaison entre les processus de développement des deux géants asiatiques deviendra d’ailleurs l’un de ses thèmes de prédilection et culminera dans la publication en 1998 d’un ouvrage remarqué intitulé Chine-Inde : le match du siècle.

En tant que professeur à l’Institut universitaire de hautes études internationales (IUHEI), il sera étroitement impliqué dans la création en 1962 de l’Institut africain de Genève, qui deviendra l’IUED en 1977. Partageant alors son temps entre ces deux instituts (ndlr: ils fusionneront en 2008 pour devenir l’Institut de hautes études internationales et du développement , l’IHEID), il y sera jusqu’à sa retraite en 1996 un professeur des plus actifs et influents. Dans le domaine de l’enseignement, partisan d’une approche pluridisciplinaire dans laquelle l’histoire longue joue un rôle majeur dans la compréhension des problèmes de développement, il a suscité de très nombreuses vocations. Il a aussi enseigné en dehors de nos deux instituts dans plusieurs universités américaines et a été invité à deux occasions comme professeur au Collège de France à Paris. Au niveau des publications, Gilbert Etienne a été un auteur prolifique, publiant une quarantaine d’ouvrages au cours de sa carrière et plus d’une centaine d’articles dans des revues scientifiques ou dans la presse suisse et française. La plupart de ses écrits sont basés sur ses propres recherches de terrain en Asie où il aura résidé en tout plus de dix ans. Homme de réflexion mais aussi d’action, il s’est également engagé dans des activités de développement concrètes, effectuant de nombreuses missions notamment pour la DDC et la Banque Mondiale. Il a aussi été membre du CICR, de Swisscontact et Président de l’ONG Frères de nos Frères.

Jusqu’à son dernier souffle, Gilbert Etienne a lutté pour ses idées, en fulminant contre les ignorants et les imbéciles qui oublient les fondamentaux du développement agricole et rural, en faisant preuve d’une admirable persévérance pour réaffirmer inlassablement les principes auxquels il croyait et en ne perdant jamais l’espoir de convaincre et de voir in fine s’améliorer le sort des petits paysans pauvres d’Asie. Avec sa disparition, l’IHEID perd une personnalité originale et attachante de tout de premier ordre et l’un des piliers parmi ceux qui ont contribué à sa réputation et à son rayonnement pendant plus d’un demi-siècle. Genève et la Suisse voient également disparaître un éminent citoyen helvétique du monde.

L’auteur est Professeur honoraire à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève.

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3 commmentaires à “À la mémoire de Gilbert Etienne”

  1. Bernard Walter 23 mai 2014 at 22:18 #

    Paix à l’âme de M. Etienne.
    Mais je me permets deux réserves quant à cet article.
    Cet article ne dit rien de bien concret sur les idées défendues par M. Etienne, ni sur ses positions politiques, si ce n’est qu’il a été représentant de montres de marque à Bombay… Alors comment puis-je me situer face à lui ? Dois-je l’admirer parce qu’il a un cv fait pour impressionner ?
    Et puis je n’aime pas l’idée qu’il y a des ignorants et des imbéciles. Cela me fait croire que je suis très intelligent. Et ça, c’est la pente qui mène à une autosatisfaction fermant la porte à la compréhension de l’Autre.

  2. Schindler 24 mai 2014 at 11:00 #

    Je partage cet hommage au grand professeur dont j’ai apprécié la compétence et l’humanité quand j’étais étudiant à HEI. Ses analyses et sa profonde connaissance du monde en développement ont toujours été une source d’inspiration dans ma carrière de journaliste.

  3. Marie-Anne Derron 24 mai 2014 at 14:24 #

    Une fois de plus cela m’attriste de constater que les hommes de ce format doivent disparaître. Il faudrait qu’il aient un supplément de vie: ils ont tant à apporter à notre planète.

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