Politique française, le bal des Pinocchio


On avait eu le serment de Jérôme Cahuzac, les yeux dans les yeux, devant l’Assemblée nationale: «Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte à l’étranger. Ni maintenant, ni avant».

PAR MARC SCHINDLER

On se souvient de la déclaration martiale de Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, sur les écoutes de Nicolas Sarkozy: «Je n’ai bien sûr jamais été informé d’écoutes concernant l’ancien président de la République dans le cadre de l’enquête sur le financement de la campagne de 2007, ouverte depuis plusieurs mois. Je n’avais pas à l’être». On n’a pas oublié la contrition chafouine de Dominique Strauss-Kahn sur l’affaire du Sofitel: “Ce n’était pas une relation tarifée, c’était une faiblesse, une faute morale.”

Eh bien, on n’avait encore rien vu. L’autre soir, c’est l’ex-président de l’UMP, Jean-François Copé, toute juste éjecté par ses amis politiques après l’affaire Bygmalion, qui nous a fait le coup du «Je ne savais rien, je l’ai appris par les journaux». Du grand art de comédien, la mine grave, mais l’air faussement détendu, les mains volubiles, le sourcil mobile, la voix posée, les émotions contrôlées. “On écrit beaucoup de choses mais je veux leur dire dans les yeux que mon intégrité est totale »(… )»la vérité, c’est que j’ai découvert tout cela quand ça a été publié par Libération (…) J’ai fait confiance aux personnes dont c’était le métier».

Quelques heures plus tôt, c’était Jérôme Lavrilleux, ancien bras droit de Copé et ex-directeur de campagne adjoint de Sarkozy, qui nous avait pris par les sentiments en s’expliquant en larmes sur les «dérapages» de l’UMP: «quand vous êtes pris dans un engrenage de campagne électorale, le reproche que je me fais, c’est que je n’ai pas eu le courage à un moment de dire ‘stop on en fait trop. On en fait trop, on va dans le mur’». Ah, les beaux Pinocchio, dont le nez s’allonge à chaque phrase!

C’est extraordinaire, cette manie des hommes politiques: sourds, aveugles, mais pas muets. Les experts en «synergologie», en clair en langage du corps, se sont régalés à décoder la vérité derrière les mots et les gestes conscient et inconscients. Tout est scruté, de la moue au clignement des yeux, de l’oeil plissé au mouvement des mains, selon «un lexique corporel, créé par Philippe Turchet, le fondateur de la discipline en 1996, lexique qui classifie tous les mouvements et attitudes humaines standardisées», expliquent les décodeurs du “Monde”. Exemples: «Le pouce droit est levé: un code pour dire qu’il est content». «Petit pli à la commissure des yeux: le temps passe, mais tu n’es pas tout seul».

Il y a longtemps que tout le monde sait que les hommes politiques ne se risquent plus sur les plateaux de télévision sans être passés entre les mains de leurs conseillers en communication, ces fameux «spin doctors» bien payés, qui vous transforment un timide empoté en charmeur convainquant. Lors de media training, ces experts du «mentir vrai» passent les politiciens à la moulinette, les soumettent à des fausses interviews sans complaisance, qui sont enregistrées puis analysées pour révéler les faiblesses du discours et de l’attitude. Les hommes politiques sont cernés en permanence par les micros, les cameras et les smartphones. Chacune de leurs phrases, chacun de leurs gestes est enregistré, scruté, analysé, commenté sur les réseaux sociaux. La moindre gaffe, le plus petit écart de langage, de plus anodin des gestes peuvent avoir des conséquences dévastatrices. Sarkozy a mis des mois à faire oublier son «Casse-toi, pov con», au salon de l’agriculture. Ségolène Royal s’est couronnée de gloire devant la Grande Muraille de Chine: “Comme le disent les Chinois: qui ne vient pas sur la Grande Muraille n’est pas un brave, et qui vient sur la Grande Muraille conquiert la bravitude».

Il n’y a pas que les mots. Le corps des hommes politiques ment aussi et même énormément. Le menton levé, le regard bravache, les dents passées au dentifrice, l’allure dégagée, le sourire avenant, le salut amical – tout cela témoigne de la bonne santé et de la confiance en soi. Gare au regard fuyant, au menton mal rasé, aux poches sous les yeux, à la démarche lourde. Personne n’a oublié la barbe drue de Nixon lors du débat TV avec le jeune et fringant Kennedy et le mot qui tue: «Vous achèteriez une voiture d’occasion à ce type?». Ni le visage bouffi et pathétique de Pompidou, lors de son voyage en URSS.

Pourtant, les électeurs ne sont pas tous dupes des politiciens, comme ce lecteur du “Monde” qui commente la synergologie: «Un concept marketing éculé dont ses zélateurs, des petits malins assurément, savent toujours trouver les gogos prêts à croire n’importe quoi ou n’importe qui. Hier, l’astrologie, aujourd’hui la synergologie. Morale de l’histoire: la synergogologie a de beaux jours devant elle.» Vox populi, vox dei.

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Un commentaire à “Politique française, le bal des Pinocchio”

  1. Arnaud Nemoz 28 mai 2014 at 21:23 #

    Marine Lepen est à mon sens et actuellement la meilleure des politiciennes connues. Loin d’être une pitre, loin d’être un sugus, elle met devant tant de français Sarkozy de côté. La censure, comme partout, est trop présente. L’ange veille : ainsi je puis dire que nous ne sommes jamais totalement maîtres de notre sort. Merci pour cet article, plein de sens et qui taille une vision plus polissée de la politique française.

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