Le cas de Neirynck, le cas du PDC


Jacques Neirynck a 82 ans. Est-ce grave, docteur?

PAR PIERRE KOLB

C’est ce que laissent entendre des caciques des médias et de la droite vaudoise, à laquelle appartient le Parti démocrate-chrétien, dont Jacques Neirynck est le brillant représentant. Il siège (encore! déplore le choeur des grenouilles) au Grand Conseil vaudois, mais surtout au Conseil national. Ce siège fédéral est convoité par Claude Béglé, homme fort du PDC vaudois: homme fort au sens du contrôle du parti, mais pas au sens de la force électorale. Là, ses références ne sont pas brillantes, raison pour laquelle toute la pression est mise pour que Neirynck s’en aille en cours de législature, histoire de donner au citoyen Béglé une chance de ne plus être l’inconnu du bon peuple.

Neirynck a fait la sourde oreille, plutôt motivé à mener quelques batailles personnelles à leur terme, et peu enthousiasmé par son remplaçant désigné. Il faut dire que Béglé, ça a tout l’air d’être «A droite toute» face au professeur honoraire de l’EPFL qui pourtant est tout sauf un gauchiste. Il est surtout indépendant et imprévisible, deux choses dont les apparatchiks ont horreur.

Avec ces derniers, il a joué au chat et à la souris, mais la fin de la récréation semble sifflée pour cette semaine. Au moyen d’un faux-semblant, la promesse de soutenir une candidature de Jacques Neirynck au Conseil des Etats. En soi la perspective est séduisante, ne serait-ce que parce que les sénateurs, ainsi que le souligne l’intéressé, ne sont pas soumis aux stupides limitations de temps de parole en vigueur au National. Mais en dépit de sa notoriété, qui déborde très largement l’impact de son parti, quelles seraient les chances d’un démocrate-chrétien vaudois? Cette promesse est cousue de fil blanc.

Certes on doit avoir conscience de jouer serré au PDC vaudois. Il lui doit son siège fédéral. Une raison d’éviter de le provoquer en le poussant à une dissidence. Dans les années 80, dans le Jura, alors que ce parti y est dominant, un conflit similaire avait fait perdre au PDC cantonal son siège au National. Comme quoi cette péripétie politique n’est pas seulement intéressante en regard de la personnalité de Neirynck, mais du destin de ce petit parti, qui aura presque toujours été confronté à la question de sa raison d’être.

Elle est historiquement fondée sur l’appartenance confessionnelle. Mais lors des premières décennies de la suprématie radicale vaudoise, les catholiques vaudois, pas organisés en parti, avaient tendance à voter radical. Et le grand parti, conscient de leur implantation majoritaire dans plusieurs communes du district d’Echallens, avait laissé mûrir l’idée de réserver un siège du Gouvernement à un ressortissant de cette minorité confessionnelle et régionale. Sauf que le fruit mûr est tombé avant que l’on ne concrétise. Et lorsque Charles Favre, en 1994, s’avère être le premier notable d’Echallens de famille catholique à accéder au Conseil d’Etat, ce n’est plus en fonction de cette vieille idée radicale d’intégration des catholiques.

De fait, l’inertie radicale ne pouvait convenir aux catholiques immigrés, immigrés de l’intérieur d’abord, venus des régions romandes pauvres. Ceci explique la mise sur orbite vers les années 50 d’un parti chrétien-social, ancêtre du PDC, dont les figures dominantes viendront d’ailleurs: le Jurassien Paul Frainier, le Fribourgeois Roger Mugny. Une formation politique tout de même respectable, puisque ces deux hommes seront successivement conseillers nationaux. Notamment parce que ce PDC prospérait en bonne intelligence avec le Parti radical.

Mais la motivation confessionnelle, renforcée alors par la lente négociation d’un statut des catholiques vaudois, demandé en réplique à l’assise constitutionnelle de l’Eglise protestante, confinait ce parti dans une situation marginale et minoritaire. Et lorsqu’en 1976 les radicaux sont en difficulté, Jean-Pascal Delamuraz n’hésite pas à Lausanne, où la municipalité est encore élue par le Conseil communal, à sacrifier le municipal Roger Mugny au profit d’un nouvel écologiste, un homme dont l’arrivisme se vérifiera par la suite.

Cassure, et illustration de la fragile implantation du PDC, que la disparition des motivations confessionnelles va aggraver. Il vivote, s’alliant parfois à l’UDC! Et perd sa présence au National. Pour la retrouver, il faudra convaincre des personnalités capables de ratisser large, à l’image de l’homme de média Jean-Charles Simon, qui passe bien la rampe en 1995. Mais préfère ne pas se représenter en 1999, et c’est l’irruption de Jacques Neirynck, qui échouera lors de sa réélection de 2003, pour revenir en 2007, et se faire réélire en 2011. On comprend bien que pour 2015, l’inconnu Béglé, même s’il accède maintenant à l’arène parlementaire au titre de vient-ensuite et même s’il peut, le moment voulu, engager de gros moyens, a du pain sur la planche.

En 2011 Jacques Neirynck, avec 15511 suffrages nominatifs dont quelque 8000 en dehors de son parti, a juste dépassé un des 18 élus vaudois, de 250 voix, le dernier élu libéral, Fathi Derder, lui-même porté par son parti, et s’est trouvé sérieusement distancé par le meilleur élu cantonal, le socialiste Roger Nordmann, qui avait recueilli sur son nom près de 53.000 voix. En 2012, dans le contexte différent du scrutin majoritaire du Conseil d’Etat, Claude Béglé était arrivé en dessous de 10% des voix…

Cela semble montrer que s’il ne peuvent recourir à l’artifice original de l’apport d’une personnalité d’envergure, les démocrate-chrétiens sont voués à des fonctions de porteurs d’eau. Un spécialiste de la calculette aurait-il vu que le jeu des alliances et des apparentements peut aboutir à autre chose? On attend la démonstration. Et de toute façon, la faiblesse et la marginalité de cette section vaudoise d’un parti suisse reste patente. Ce n’est pas du tout gênant au niveau cantonal, où un relatif émiettement partisan peut favoriser l’affirmation de sensibilités – on en la preuve avec «Vaud libre». Mais là aussi, le cas Neirynck mis à part, la démonstration reste à faire par le PDC.

Article paru dans “Courant d’Idées“.

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Un commentaire à “Le cas de Neirynck, le cas du PDC”

  1. robert curtat 11 juillet 2014 at 07:25 #

    Je retrouve mon ami Kolb, précis, complet, attentif. Un modèle de journaliste comme on en fait plus. Oui un bonheur d’être, depuis peu pour moi, voisin de colonne et non plus de “marbre”. Et qu’importe si notre “offre” n’est pas calibrée, réduite, maîtrisée dans le bon sens comme on en prend chaque jour la mesure dans nos “grands” journaux. Sans oublier que l’on a vu pire, tellement pire. Pour avoir vécu il y a si longtemps la dérive du “Progrès de Lyon” je ne pense pas qu’on soit arrivés lä où Hersant a conduit la presse régionale française.
    On se reparlera sans doute ami Kolb. Dans cette attente je te dis mon compliment
    Robert

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