A propos d’une goutte tombée sur la table.
PAR BERNARD WALTER
Cette petite histoire se passe dans l’entre-saison, à l’époque creuse où dans les stations, certains hôtels cinq étoiles proposent des offres spéciales permettant à madame-monsieur-tout-le-monde de venir pour un week-end goûter au luxe des riches. J’ai fait ça deux ou trois fois avec ma belle, c’est elle qui faisait l’essentiel du charme de la visite.
Le resto du soir est compris dans le pack. C’est le prix des bouteilles qui rappelle au porte-monnaie dans quel lieu nous nous trouvons. Nous évitons le tout premier prix et nous nous offrons une bouteille à 100 fr. Sur la carte des vins, j’ai repéré une bouteille à 1000 francs, je n’ai pas l’habitude, alors cela suscite en moi des pensées variées.
Le serveur, pas vraiment suisse de naissance, verse le vin, une gouttelette tombe sur la nappe et fait une petite tache rouge. Nous mangeons, et soudain à l’heure du dessert, j’ai une question pour lui.
« Monsieur », lui dis-je, « vous voyez cette petite tache ».
« Il y a un problème ? », demande-t-il un peu effrayé.
« Non non, j’ai juste une question. Si j’avais commandé la bouteille à 1000 francs, vous devriez me rendre combien pour cette tache tombée sur la table ? »
Il commence manifestement à être inquiet. « Attendez, je vais chercher le chef ».
Le chef arrive.
« Ce n’est rien », lui dis-je. « C’était juste une question, et je vous la pose. Vous voyez cette petite tache rouge sur la table ? C’est du vin tombé de la bouteille quand il a été versé dans nos verres. Si j’avais commandé la bouteille à 1000 francs, vous devriez me rendre combien pour cette tache tombée sur la table ? »
Alors le chef : « Mais vous n’avez pas de problème ? Tout est bien en ordre ? »
« Oui, oui, tout va très bien, la soirée est excellente. »
« Ah ! Bien monsieur ! »
Nous étions censés apprécier son fameux vin, il n’a même pas apprécié ma fameuse plaisanterie. Mais pour lui, l’honneur était sauf !