Les tribulations d’un Chinois en France


敬意 Mon cher Huan,

PAR MARC SCHINDLER

Je t’écris de Paris où notre vol Pékin-Paris a atterri il y a trois heures. On m’avait prévenu: les douaniers français sont désagréables avec les Chinois et ils ne parlent pas le mandarin et même pas l’anglais. Je craignais aussi la pollution, qui peut être pire qu’à Pékin. J’ai de la chance, le ciel est bleu et il fait très chaud. Les problèmes ont commencé avec le taxi. Les chauffeurs sont en grève et ils bloquent Paris. Si j’ai bien compris, ils sont en colère parce que le gouvernement a autorisé des taxis concurrents avec chauffeur qu’on appelle avec son smartphone. Mais je n’ai pas de réseau français avec mon Galaxy. J’ai voulu prendre le train. Les conducteurs font aussi grève. Sur le quai, il y avait des milliers de gens en colère et les pauvres employés se faisaient insulter. J’ai appris un nouveau mot en français: galère. J’avais appris que c’était là où le roi envoyait ses ennemis, avant la Révolution française. Il paraît que c’est comme ça que les Français appellent les jours de grève, quand ils n’y a pas de train ni de bus ni de métro.

J’ai rencontré un businessman français qui parle anglais. Il m’a expliqué que les cheminots font grève parce le gouvernement veut réunir la société qui exploite le train et celle qui entretient les voies. M. Durand m’a expliqué: tout ça, c’est la faute à Bruxelles, le siège de l’Union européenne. Bruxelles exige que la France réduise l’énorme déficit de la SNCF – 44 milliards d’euros – et qu’elle ouvre le rail à la concurrence. Mais les syndicats disent non et votent chaque jour la prolongation de la grève. Les usagers sont furieux, le ministre des transports a fait des concessions et même le président de la République a dit que la grève doit s’arrêter. Mais il semble qu’en France, personne ne l’écoute et personne ne fait confiance à son gouvernement. On m’a dit que la grève du rail coûte à la France des centaines de millions d’euros par jour. Et lundi, des milliers de jeunes Français vont passer leur bac, l’équivalent de notre gaokao. Tu imagines la galère si les trains sont à l’arrêt!

A mon hôtel, j’ai demandé si je pouvais réserver un billet pour aller visiter le Louvre et le château de Versailles. On m’a déconseillé le Louvre, à cause des pickpockets qui volent les touristes chinois. Il y a quelques mois, les gardiens du musée se sont mis en grève pour réclamer plus de personnel. J’ai aussi demandé si je pouvais réserver une place pour le Festival d’Avignon. On m’a répondu que les représentations seraient probablement annulées. A cause de la menace de grève des intermittents. Encore un mot nouveau pour moi. Décidément, il faut aller à Paris pour comprendre ces drôles de Français. A l’hôtel, on m’a expliqué que ces intermittents sont des artistes, des techniciens et des ouvriers qui sont engagés pour une courte période, pendant un spectacle ou un film ou à la télévision. Quand ils ne travaillent pas, entre deux spectacles, ils sont payés par l’assurance-chômage. Bizarre! Heureusement que les artistes de l’Opéra de Pékin sont payés chaque mois.

Les intermittents font grève parce qu’ils ne veulent pas que le gouvernement accepte un accord entre leur syndicat et le patronat. Je n’ai pas tout compris, parce que le directeur de l’hôtel parle mal l’anglais et qu’il était furieux contre les grévistes qui risquent de faire annuler des spectacles et faire fuir ses clients. J’ai compris que pour avoir droit à l’assurance-chômage, les intermittents doivent travailler au moins trois mois et demi. Les patrons sont furieux parce que l’Etat leur verse un milliard d’euros par an et que ces indemnités représentent le tiers du déficit de l’assurance-chômage.

J’ai l’impression que la grève est une spécialité française, comme la baguette, le béret basque, le camembert et la garde républicaine. Le droit de grève est reconnu depuis 1946 dans la Constitution et la loi fixe les détails. A mon hôtel, j’ai regardé sur Internet. Pour les fonctionnaires, «toute grève doit être précédée d’un préavis de la part d’une organisation syndicale représentative au niveau national dans la catégorie professionnelle ou l’administration concernée. Il doit être remis à l’autorité hiérarchique au moins 5 jours francs avant le déclenchement de la grève et préciser clairement le lieu, la date et l’heure du début de la grève, sa durée envisagée et ses motifs». Et le salaire n’est pas payé, sauf «le supplément familial de traitement qui est maintenu intégralement.» Pas bien compris ce que ça voulait dire.

Chez nous en Chine, le droit de grève a été supprimé en 1982. Le parti a expliqué que les ouvriers sont les maîtres du pays, donc il n’est pas nécessaire faire grève. Ton père et le mien n’ont jamais fait grève. Ils savent bien que la milice et l’armée interviennent avec brutalité dans les usines et les chantiers. Bien sûr, il y a quand même des grèves depuis plusieurs années. Comme dans les fabriques de vêtements de Dongguan, où les membres du syndicat officiel se sont battus avec les grévistes. Mais il ne faut pas faire la grève, en Chine, ni surtout en parler. En France, c’est le contraire: les Français ne parlent que des grèves, les usagers sont interviewés et les leaders syndicaux sont invités à la télévision d’Etat. Tu imagines ça sur CCTV? En Chine, le parti veut éduquer les masses, pas les amener à contester sa ligne. En France, les partis ne s’occupent pas beaucoup des citoyens, si j’ai bien compris ce qu’on m’a dit.

Chez nous, les syndicats sont mis en place par le parti et leurs représentants ne sont pas élus. Comme le dit ton père, les syndicats chinois sont toujours d’accord avec les patrons. En France, les syndicalistes sont très peu nombreux dans les entreprises, les syndicats sont puissants surtout parmi les fonctionnaires et ils sont divisés entre eux. Mais ils savent utiliser la grève pour bloquer les usines, les gares, les autoroutes. Le patron de mon hôtel m’a raconté comme ça se passe dans les assemblées de grévistes. Le leader chauffe les militants et fait voter à mains levées la poursuite de la grève. Ceux qui ne lèvent pas la main sont regardés de travers et parfois même menacés. Selon lui, les syndicats ne cherchent pas vraiment à négocier. Ils posent leurs revendications sur la table et brandissent la menace de la grève: si vous n’acceptez pas nos revendications, on fait grève. Et, à la télévision, ils expliquent que le patronat et l’Etat refusent le dialogue. J’en ai un peu assez d’entendre parler de grèves et de galère.

Heureusement, pour les Français, la Coupe du monde de football vient de commencer. Et les Français passent leurs soirées devant leur télévision. Ils se passionnent pour leur équipe, les Bleus, en espérant qu’elle sera championne du monde, comme en 1998. Le patron de l’hôtel et mon businessman anglophone n’y croient pas vraiment.

Comme il n’y pas de train ni de taxi, que les expositions et les musées sont en grève, je suis allé à pied aux Galeries Lafayette pour acheter un souvenir pour mon amie. Il y a des boutiques spéciales pour les clients asiatiques. C’est hors de prix et une jeune fille m’a parlé japonais! Je ne suis pas fanatique des pensées du président Mao. Mais il avait raison, quand il écrivait: «L’histoire de l’humanité est un mouvement constant du règne de la nécessité vers le règne de la liberté.» Trop compliqué pour les grévistes français, qui préfèrent cette citation du Grand livre rouge: “C’est quand la merde et le pet sont sortis que le ventre est soulagé!”

 

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