La chronique de Marc Schindler – Magouilles au pays du fendant


Vous aimez les intrigues tordues de John Le Carré? Vous êtes emballé par les histoires embrouillées d’Agatha Christie? Alors, vous allez adorer le polar qui passionne les Suisses: l’affaire Giroud.

PAR MARC SCHINDLER, Alès (France)

Je résume: Dominique Giroud, l’un des plus gros vignerons valaisans, est poursuivi pour escroquerie, falsification de marchandises et faux dans les titres. Il aurait fait de fausses factures pour près de 3 millions de francs suisses ( environ 2,4 millions d’euros) au nom d’une dizaine de vignerons qui fournissaient ses caves. Vous me direz: bof, ce n’est pas la première fois qu’un pinardier coupe sa bibine et qu’il truque ses comptes. En Languedoc-Roussillon et dans le Bordelais, on a aussi des as de la carambouille.

C’est pas fini: l’administration fédérale des finances soupçonne Dominique Giroud de fraude fiscale. Les fausses factures auraient permis de virer du cash dans sa société aux Iles Vierges. Entre 2003 et 2009, il aurait caché 18 millions de revenus (environ 14 millions d’euros) et 9 millions (environ 7 millions d’euros) de bénéfice aux autorités fiscales. Ce vigneron pas vraiment au-dessus de tout soupçon aurait mis en place des montages financiers avec une société dans un paradis fiscal et aurait versé de gros montants en liquide sur son compte auprès du Crédit Suisse. Un vigneron qui fraude le fisc, il n’y a qu’en Suisse qu’on voit ça!

Attendez, vous n’avez encore rien vu! Dominique Giroud n’est pas n’importe quel vigneron. C’est un baron du vin. En Valais, c’est un notable tout-puissant, proche des milieux catholiques intégristes. Pour contrôler ses comptes, il a fait appel à une fiduciaire dont le patron, Maurice Tornay, est devenu ministre cantonal des Finances et chef du gouvernement valaisan. Le politicien a avoué que le vigneron avait financé sa campagne électorale. Vous l’avez compris: l’affaire Giroud, c’est une bombe politique en Valais!

Jusque là, c’est du connu: magouilles, pots de vin et copinage politique. Où ça devient croquignolet, c’est quand la presse révèle que Dominique Giroud a fait appel à un copain, agent du Service de renseignement de la Confédération, un barbouze, pour savoir qui informe les journalistes sur ses ennuis fiscaux. Cet ami qui lui veut du bien le met en contact avec un détective privé, «dépeint par ses confrères comme vantard, très bavard et porté sur des méthodes souvent inavouables», selon le quotidien le “Temps”. Pour mieux comprendre le barouf en Helvétie, imaginez qu’un grand vigneron du Bordelais, inquiet des révélations de Mediapart, demande un coup de main à un copain de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et que ce barbouze le mette en contact avec un privé pas du tout net.

Mais ça se complique encore: le privé connaît un hacker, spécialiste du piratage informatique, formé à la prestigieuse Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Cet ingénieur est un expert dans la cybersécurité. «Le domaine est connu pour être extrêmement lucratif. Les banques et les sociétés de trading cherchent à se protéger des attaques au prix fort», toujours selon le “Temps”. Le quotidien suisse sait de quoi il parle, puisque l’ordinateur de son journaliste qui a enquêté sur les magouilles de Giroud a été piraté. Même piratage chez le correspondant en Valais de la Télévision suisse romande (RTS). Mais le bouquet, c’est quand la presse découvre que le privé engagé par le vigneron pour débusquer les fuites… a lui-même informé le journaliste de la télévision. Le journaliste et le privé formaient un drôle de tandem: le privé demandait au vigneron des documents confidentiels et les refilait au journaliste. Tout ça coûte cher: le hacking de base serait facturé 10 000 francs suisses (environ 8000 euros). Ajoutez 40 000 francs (environ 32 000 euros) pour chaque journaliste. Finalement, toujours selon le “Temps”, «le hacking concernant le “Temps” et la RTS se serait conclu sur un prix de 100 000 francs» (environ 80 000 euros). Tagada, tagada, voilà les Dalton! Quand il découvre ces magouilles, le procureur genevois met au trou les quatre compères, en attendant de les confronter. La partie de poker menteur ne fait que commencer.

La Suisse suit avec passion ce feuilleton à rebondissements avec ses personnages hauts en couleur: le vigneron escroc, le barbouze félon, le privé agent double et l’informaticien voyou. Tout ça en Valais, la Corse de la Suisse, où se mêlent affaires, politique, religion, journalistes, avocats, conseillers en communication. C’est «Petits meurtres entre amis» au pays du fendant. Et pendant ce temps-là, l’équipe suisse de football se fait étriller par les Bleus. C’est vraiment trop injuste!

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