L’un des arguments des promoteurs du Pôle muséal à Lausanne est que leur projet permettrait de faire exploser le nombre de visiteurs, la dynamique de la structure devant ouvrir la porte à l’organisation d’événements exceptionnels.
Pour mémoire, en 1963 la Joconde fut exposée aux Etats Unis, où, en deux mois, près de deux millions d’Américains vinrent admirer ce trésor de la civilisation occidentale.
Peut-on rêver de réussir un tel coup à la gare de Lausanne, même à une échelle infiniment plus modeste?
Il faut se rappeler que le voyage de la belle Florentine fut décidé “en dépit des règles de l’art”, malgré la ferme opposition des conservateurs du Louvre au déplacement de cette peinture âgée de 450 ans. Ce fut un coup de pub politico-culturel de Malraux et De Gaulle, la France des débuts de la Vème république ayant bien peu d’alternative à offrir pour étayer sa grandeur – en fait celle de l’Italie.
L’événement reste exceptionnel et le prêt de toiles d’inestimable valeur ne se fera désormais qu’avec l’aval de conservateurs d’art chaque année plus pointilleux, la science de la dégradation des œuvres d’art ayant fait d’effarantes découvertes.
Qui se risquera à prêter un Goya ou un Rembrandt pour l’exposer à 30 mètres du passage de trains de wagons-citernes remplis de chlore???
Pour sûr les propriétaires de chefs-d’œuvre ne baseront pas leur décision sur le rapport de la firme Basler & Partner, mandatée pour analyser les risques.
Il est des risques auxquels on ne peut échapper, à l’instar d’un désastre naturel, et d’autres auxquels on est libre de ne pas s’exposer, comme la mise en service d’une centrale nucléaire – en Autriche, la centrale nucléaire de Zwentendorf n’a jamais été mise en activité; au cours d’un référendum en 1978, le peuple autrichien a voté contre sa mise en service, malgré le milliard déjà investi.
Le prêt d’un chef-d’œuvre fait partie de cette catégorie. Au cas ou le détenteur d’une œuvre d’art entrerait en matière pour un prêt, alors il commencerait à coup sûr par demander l’expertise des compagnies d’assurances, lesquelles font appel à des méthodes d’analyse autrement plus sophistiquées que les projections de la firme Basler & Partner.
Il manque donc au bien-fondé du projet de Pôle muséal une analyse du risque de refus de prêt d’œuvres d’art, plus précisément une analyse du risque que les propriétaires-collectionneurs se refusent catégoriquement à prêter leurs œuvres à un musée situé dans un espace adjacent au passage de trains transportant des marchandises dangereuses dont la nature exacte et les quantités restent inconnues, trains occasionnant de plus d’incessantes vibrations dont on sait à quel point elles ont un effet désastreux sur certains matériaux utilisés par les artistes.
Ce projet de musée “polaire” en bordure des rails et d’une glaçante imbécillité, en effet. Comment peut-on planifier de manière aussi inadéquate ?