Ah, Genève, son jet d’eau, ses quais où il faut bon flâner en dégustant une glace, ses palaces de luxe, sa propreté légendaire, ses banques qui ressemblent à des temples de l’argent, ses foules bigarrées qui parlent toutes les langues, ses salaires mirobolants qui attirent 150 000 frontaliers français… et ses policiers masqués qui font la grève du zèle en refusant de se raser et de porter l’uniforme!
PAR MARC SCHINDLER
Non, vous ne rêvez pas, vous êtes au paradis de la contestation helvétique. Les Suisses alémaniques appellent ça “Genferei”, en français Genevoiserie, une exception genevoise, si vous préférez.
Les flics genevois ont une longue tradition de contestation. Leur syndicat tout-puissant fait trembler le gouvernement et le parlement du canton. Il y a sept ans, leur président avait accusé la chef de la police d’avoir couché avec le magistrat chargé de la sécurité pour obtenir son poste. Une sanction? L’enquête du gouvernement n’avait pas permis d’établir les faits. Le syndicat avait simplement été prié de se trouver un président plus présentable.
Depuis plusieurs mois, les flics du bout du lac Léman mènent la guerre contre le SCORE (le Système Compétence Rémunération Evaluation), en clair la nouvelle politique salariale de l’Etat de Genève. Pour faire court, il s’agit de simplifier la grille des salaires de la fonction publique et de mettre fin à la «jungle des indemnités» dénoncée par la Cour des comptes du canton. Exemple: «l’indemnité pour risques inhérents à la fonction”, versée à plus de 1700 personnes du corps de police et de l’office pénitentiaire, pour un montant total de 20 millions de francs par an». Trois ans et demi de travaux d’experts pour établir une grille des fonctions avec des critères d’évaluation, des méthodes de rémunération et de nouvelles primes, pour tous les fonctionnaires. 25% des indemnités sont supprimées. Selon la “Tribune de Genève”: «Le projet prévoit fondamentalement la refonte des trois unités actuelles (gendarmerie, police judiciaire et police de la sécurité internationale) en une seule police, mais avec cinq missions distinctes assumées par autant de services opérationnels: police-secours, police judiciaire, police de proximité, police internationale, police routière».
Les pandores genevois ne sont pas vraiment à plaindre: un gendarme commence sa carrière à 92 611 francs suisses (environ 76 000 euros) et la termine à 121 255 francs (environ 100 000 euros), un bon salaire à Genève, 10% de plus que ceux des cantons voisins. Mais le SCORE leur fera perdre 2,5%. Pour les inspecteurs, la perte serait de 6,2%. Comme prévu, les poulets genevois font vinaigre. Ils refusent le nouveau système. Personne n’aime voir ses acquis sociaux rabotés. Mais les flics genevois veulent montrer leurs muscles: ils écrivent aux parlementaires, défilent en uniforme et attaquent le magistrat chargé de la sécurité, un politicien de droite, capitaine à l’armée: «Le magistrat s’est engagé à maintenir nos acquis sociaux via un règlement qui devait être finalisé en même temps que la loi. Ces promesses nous ont encouragés à soutenir son projet mais tout est parti en cacahuètes. On ne marche plus dans cette combine destinée à satisfaire les ambitions politiques d’un chef de département». Dernier coup: la grève de l’uniforme et le défilé des flics masqués. Ce bras de fer commence à agacer les députés chargés de voter la loi sur la fonction publique: «cette démonstration est parfaitement scandaleuse. Il est interdit de défiler à visage couvert. La loi s’applique à tous. Ces agents ont déshonoré leur uniforme et leur serment.»
Tout le monde se refile la patate chaude. La chef de la police: c’est au magistrat de prendre ses responsabilités. Le magistrat: « Je renvoie aussi les députés à leur responsabilité. Le débat sur ce projet de loi et la discussion sur certains articles controversés pourront servir de signal clair et rapide.»Les députés imitent d’un Conrart le silence prudent: «Avec la grève en cours, il n’est pas opportun d’aborder un projet aussi important. Il faut d’abord trouver un compromis qui rétablisse la confiance entre l’autorité et les syndicats.» En attendant, le débat parlementaire est renvoyé à fin août. Bref, pour tout le monde, face aux provocations de la police, il est urgent d’attendre! Courageux, les responsables genevois, mais pas téméraires!
En attendant, la dernière enquête sur la sécurité à Genève est édifiante. La petite et la moyenne criminalité diminue, grâce à l’action de la police. Mais le sentiment d’insécurité augmente, selon le quotidien le “Temps”: «en particulier la vente et la consommation de drogues auxquelles 65% des interrogés disent avoir été exposés, contre 43% en 2007… Quant aux violences verbales et bagarres qui étaient tombées à 39% en 2010 dans cette zone, elles bondissent à 65% en 2013». Bon d’accord, la violence à Genève n’a rien à voir avec celle de Marseille. Mais quand les bandes de truands lyonnais attaquent une banque à la Kalachikov, quand la gare de Genève est devenue un marché ouvert de la drogue, quand des touristes se font dévaliser, la grève des poulets genevois au vinaigre fait un peu désordre dans le paradis helvétique.
«Quant aux violences verbales et bagarres qui étaient tombées à 39% en 2010 dans cette zone, elles bondissent à 65% en 2013»: la police fait mal son travail, elle réduit les effectifs, à mon avis, bien qu’un journal parlait un temps d’une augmentation des effectifs pour faire face à la montée de la violence.