Qui va payer pour faire vivre Ballenberg, le paradis de Heidi?

Il existe au fond de l’Oberland bernois un musée de la Suisse figée dans le temps, une Suisse campagnarde, une Suisse rêvée par les citadins, la Suisse d’Heidi: le musée de l’habitat rural de Ballenberg.

PAR MARC SCHINDLER

Il a été créé en 1978, c’est une maison de retraite de 66 hectares en plein air pour le patrimoine bâti de l’Helvétie: une centaine de fermes bernoises, vaudoises, jurassiennes, appenzelloises et d’autres cantons ont été démontées, transportées et soigneusement remontées dans la prairie bernoise. Le site du musée précise: «250 animaux de ferme de races indigènes, des jardins et des champs entretenus comme autrefois, des démonstrations d’artisanat traditionnel et de nombreuses manifestations thématiques vous permettront de revivre le passé comme si vous y étiez»! On s’y croirait. Il ne manque aucun tavillon (tuile en bois) au toit des fermes, aucune fourche au râtelier, aucune boille (bidon à lait) dans les étables, aucun Stöckli (petit chalet pour les parents à la retraite) à côté des fermes. On y trouve même un four à bois à l’ancienne pour faire du charbon de bois. Mais, depuis treize ans, aucune nouvelle ferme n’a été installée, faute de place.

L’an dernier, 230 000 visiteurs venus de toute la Suisse ont foulé ces verts pâturages pour visiter et photographier ces vestiges du passé rural de la Suisse. C’est une des destinations préférées des courses d’école. Les gosses de citadins peuvent voir travailler des artisans et jouer du cor des Alpes. L’oeil humide, ils découvrent en vrai ce que leurs grands-parents leur ont montré sur des photos jaunies: la vie pastorale, au temps où les Suisses étaient paysans, où ils trayaient leurs vaches à la main, faisaient les foins sans machines, et pressaient leurs fromages. Aujourd’hui, leurs enfants et petits-enfants fabriquent des montres, des machines de précision, du chocolat, des médicaments ou ils travaillent dans la banque ou l’assurance. La Suisse ne compte plus que 4% de paysans et, chaque jour, trois exploitations agricoles disparaissent. Mais au fond des yeux de tout Helvète, on peut lire ce souvenir ému d’un temps béni: la nature était belle, l’eau et l’air étaient purs, le béton n’avait pas envahi le paysage. Nostalgie, nostalgie!

Le problème, c’est que l’entretien de ce musée en plein l’air coûte cher. Le conseil, de fondation de Ballenberg demande 87 millions de francs pour ces dix prochaines années. Il faut entretenir ces fermes historiques, améliorer les chemins, les canalisations, construire des locaux pour entreposer les collections, mieux présenter les bâtiments et les objets du passé. Le musée s’autofinance à 91% par les billets d’entrée (22 francs), les ventes de l’artisanat, les dons et les partenariats. La Confédération, le canton de Berne et les autres cantons financent la différence.

Mais le président de la fondation, un ancien syndic et conseiller national vaudois, est gourmand: il réclame 2,5 millions d’aide publique. Le ministre suisse de la Culture met les pieds au mur. La Confédération a déjà versé 12 millions et elle propose 500000 francs par an, en attendant une nouvelle loi sur la culture en 2016. Côté recettes, pas beaucoup d’espoir: augmenter les billets ferait fuir les visiteurs. Les sponsors ont déjà donné. Et comme rien n’a changé depuis 2001, «Ballenberg est une institution qu’on visite une fois dans sa vie», selon le “Temps”. Autre problème: il n’y a pas d’hôtel à Ballenberg et pas de chambres d’hôtes dans la région. Le rapport du conseil de fondation est sévère: «La situation actuelle n’est pas satisfaisante. Les restaurants sont affermés et leurs gérants ne se sentent pas particulièrement concernés par la stratégie du musée. Ils poursuivent avant tout des objectifs de rentabilité. Ils accordent peu d’attention à la médiation du patrimoine culinaire et de la cuisine de saison.»

Qui va payer pour faire vivre Ballenberg? Dans la Suisse du XXIe siècle, difficile de rendre populaire et rentable un musée qui propose «l’expérience du passé», un passé sans Internet, sans smartphone, sans voiture, sans restaurant. Il faudrait intéresser un grand groupe hôtelier. Mais Ballenberg se transformerait en Disneyland à la bernoise!

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Un commentaire à “Qui va payer pour faire vivre Ballenberg, le paradis de Heidi?”

  1. Arnaud Némoz 1 juillet 2014 at 15:07 #

    Les paysans sont trop bien payés et trop exigeants, ils ont été trop conditionnés par les images qui concernant la Suisse, le chocolat, etc…

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