Nouvel hymne national, inutilité publique


L’hymne national suisse ne casse pas des briques, il faut bien le dire. Est-ce une raison de le changer, maintenant?

PAR PIERRE NICOLAS

On comprend que le Conseil fédéral ait hésité à adopter le Cantique suisse, il y a quelques années. Il est pourtant parfait dans le genre, comme l’aurait été d’ailleurs la Prière patriotique, et comme l’étaient «Ô monts indépendants». Il a fallu remplacer ce dernier, on sait pourquoi: utiliser la même mélodie que la chansonnette préférée de la Queen faisait désordre, un problème susceptible de devenir sérieux à l’ouvertue de matches, il est vrai rarissimes, Suisse-Angleterre.

Chacun sait que la meilleure solution serait, lors de joutes sportives, de bazarder les éruptions nationalistes, en les remplaçant par exemple par un chant saluant les valeurs du sport, qui pourrait être chanté par les deux équipes. Mais cela paraît inconcevable, vu les impératifs commerciaux fondés sur la concurrence folklo-nationaliste.

Dommage tout de même qu’il ait fallu changer pour cette histoire de confusion avec les Britanniques, sans ça il allait bien cet hymne: des paroles assez plates, sans doute, mais ça vaut mieux, surtout dans le cas suisse, où il n’existe pas d’événement historique fondateur sur lequel on puisse s’entendre. C’est un problème que n’ont pas plusieurs cantons, l’histoire de chacun n’étant pas assimilable à celle de la Suisse. L’exemple le plus frappant étant le Jura, qui a sa «Rauracienne».

Donc vague et plat, ronflant mais pas trop, ça n’allait pas trop mal avec l’hymne en vigueur. Les décors habituels des célébrations, les stades, les cantines, recommandent d’ailleurs de ne pas être trop ambitieux s’agissant de l’intellectualité de la chose. Et il faut bien reconnaître que le Cantique suisse, qui l’a remplaçé, tient la comparaison: comme le texte évincé il n’est ni trop ni trop peu. Un peu différente, la Prière patriotique que d’aucuns eussent préféré n’est pas éloignée de ces critères, et c’est sans doute le problème: trois textes et mélodies qui se valent n’en font pas un qui s’impose.

Et voici qu’un beau jour la Société suisse d’utilité publique, un truc entre le Heimatschutz et la «Nouvelle Société helvétique», lance un concours en vue d’un nouvel hymne national. Elle a annoncé, au terme du délai court de six mois, le dépôt de plus de deux cents projets. Dont une soixantaine de langue française, ce qui peut surprendre avec cette association à dominante alémanique. S’ouvre maintenant une période de sélection avec un jury, mais aussi une consultation pseudo-démocratique, un scrutin par internet.

S’agissant du contenu, les promoteurs du concours souhaitent que l’on s’inspire du préambule de la constitution fédérale. Il n’est pas long, mais l’évocation d’un esprit de solidarité et d’ouverture, et l’affirmation que «la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible» sont susceptibles de donner de l’urticaire à d’aucuns, et vous comprendrez que du côté de l’UDC et autres néo-conservateurs, on se mobilise déjà contre un texte encore inconnu.

Problèmes linguistiques. On sait que la constitution fédérale comprend des contresens lorsque la lecture passe d’une langue à l’autre. Cela ne saurait manquer avec l’hymne national. Traduttore, traditore. Rien de grave, sauf que les présupposés uniformisants caractéristiques de l’opération “Nouvel hymne national” n’y trouveraient pas leur compte . Ne vaudrait-il pas mieux se choisir, à l’instar de l’Espagne, un hymne national sans parole?

Bref, on souhaite bien du plaisir à ces gens, tout en se demandant: pourquoi un nouvel hymne national. Pourquoi maintenant, surtout. Si par impossible Didier Burckhalter et le Conseil fédéral trouvent une issue favorable à à l’actuelle crise structurelle Suisse-UE, si cette éventuelle refondation emporte l’adhésion populaire, il y aurait une raison de s’offrir un nouvel hymne national.

Mais d’ici là, que chacun s’occupe de ses röstis, de sa fondue ou de son risotto. Ce sera d’utilité publique.

Article paru dans “Courant d’Idées“.

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