Heureux comme un millionnaire en Suisse


«Rien ne sert de courir; il faut partir à point». Le bon Jean de la Fontaine devait avoir du sang suisse.

PAR MARC SCHINDLER

Les Suisses ne sont pas connus pour être pressés quand il s’agit d’argent! Prenez par exemple l’initiative populaire fédérale «Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires», lancée par la gauche helvétique. Elle veut inscrire dans la Constitution suisse l’abolition des forfaits fiscaux accordés aux riches étrangers résidant en Suisse. Le comité a commencé à récolter les 100 000 signatures en avril 2011. Il a déposé le texte en octobre 2012. Le gouvernement fédéral a publié son message en juin 2013 et le Parlement a rejeté l’initiative en juin 2014. Les électeurs diront le 30 novembre s’ils acceptent l’initiative. 43 mois de réflexion! Les Suisses sont les champions incontestés de la lenteur législative. Les 5700 millionnaires étrangers résidant en Suisse peuvent dormir tranquilles: il n’y pas le feu au lac!

Ce forfait fiscal, joliment appelé «imposition d’après la dépense» fait les délices de richissimes chefs d’entreprise (Ingmar Kamprad, Ikea; la famille Mulliez, Auchan), de sportifs (Jean-Wilfried Tsonga) et d’artistes (Johnny Halliday quand il était résident de Gstaad) et les choux gras de leurs conseillers fiscaux en Suisse. Ils ont négocié avec l’administration fiscale un forfait pour leurs clients étrangers, à condition qu’ils ne travaillent pas en Suisse. Ces millionnaires sont imposés sur leur train de vie, au moins 400 000 francs suisses de dépenses annuelles (environ 330 000 euros) et 7 fois la valeur locative de leur logement, au total 650 000 francs suisses (environ 530 000 euros). Bon, ce n’est pas à la portée de tout le monde. Mais le fisc n’est pas trop gourmand: à Genève, il prélève 33% de ces dépenses, soit actuellement 217 000 francs suisses (environ 178 000 euros). Dans un de ses rares moments de sincérité fiscale, Johnny avait révélé aux lecteurs suisses qu’il payait en Suisse environ 400 000 euros d’impôts contre 4 millions en France: y a pas photo!

Six cantons suisses, à vocation touristique, pratiquent le forfait fiscal, notamment Genève, Vaud et Valais. D’autres cantons y ont renoncé ou ont durci l’accès aux paradis fiscaux. L’an dernier, 700 millions de francs suisses (environ 575 millions d’euros) sont tombés dans les caisses du fisc. Pas le Pérou, mais un bel argument pour attirer en Suisse les rentiers, les sportifs et les artistes amoureux d’air pur et de cimes enneigées.

Mais voilà que le parti socialiste et les Verts ont fait assaut de vertu fiscale. Selon Jean-Claude Rennwald, ancien parlementaire fédéral: «un principe est en jeu: l’équité devant l’impôt, sans privilège, sans passe-droit». Stéphane Rossini a critiqué la «logique purement comptable et égoïste» des partisans des forfaits fiscaux. Quant à Regula Rytz, coprésidente des Verts suisses, elle s’est demandée pourquoi le tennisman Roger Federer n’y avait pas droit alors que Johnny Hallyday a pu en profiter lorsqu’il était établi dans la station bernoise de GstaadLe gouvernement fédéral, la majorité du Parlement et la droite ont balayé l’initiative. Les milieux économiques ont hurlé qu’elle allait tuer la «poule aux oeufs d’or». Me Halpérin, qui travaille à Genève dans une étude d’avocats qui conseille de riches clients étrangers l’affirme: «le forfait fiscal demeure un instrument attractif pour les personnes qui désirent s’installer en Suisse sans y exercer une activité lucrative.»

Selon l’avocat fiscaliste Philippe Kenel, cité par le magazine économique suisse “Bilan”: «la Suisse n’est absolument pas séduisante sans forfait fiscal. Si elle n’est plus sur la liste des pays fiscalement attractifs, les personnes qui veulent se délocaliser iront ailleurs qu’en Suisse, garantit l’associé de l’Etude Python & Peter qui installe chaque année une trentaine d’étrangers au forfait en Suisse. Pour preuve, alors que le nombre de ces contribuables enregistrait encore un taux de croissance de 20,7% entre 2006 et 2008, la courbe s’est déjà infléchie entre 2008 et 2012 pour atteindre 3,5%». La misère guette les conseillers fiscaux! Déjà que la Suisse a dû renoncer au secret bancaire, il ferait beau voir qu’on lui enlève aussi le forfait fiscal. Hélas, comme le chantait jadis Bob Dylan: «The times they are a-changin».

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