La pauvreté coûte cher, mais, c’est très relatif!


Le parler populaire parle de fin de mois là où la statistique évoque la pauvreté monétaire, mais c’est bien la même chose.

PAR ROBERT CURTAT

Par quelque bout que vous preniez cette histoire elle mérite qu’on s’y arrête car elle touche près de six-cent mille personnes sur huit millions. Et bien davantage si on parle de risque de pauvreté, de ces femmes et ces hommes qu’un imprévu jette dans la fournaise alimentée entre autres par le diable du petit crédit. Un risque que partagent près d’un million deux cents mille de nos compatriotes.

Une bonne nouvelle sur ce tableau noir: entre 2007 et 2012, on a perdu près de 6000 pauvres (1). La mauvaise nouvelle c’est que cette donnée intègre 130000 pauvres gens qui travaillent sans pouvoir joindre les deux bouts.

C’est quoi un pauvre?

Loin dans notre histoire, la bonne société vaudoise avait une réponse toute faite: un pas-grand-chose! En 1834, au moment où l’Angleterre confie à l’Etat le soin de ses pauvres, 287 citoyens de la commune montagnarde de Château d’Oex protestent auprès du Conseil d’Etat vaudois contre une augmentation de l’impôt sur la propriété immobilière, réservé, en partie, au secours des pauvres. Les bourgeois de la montagne vont plus loin en demandant au pouvoir cantonal d’«examiner la question de la charité légale et voir s’il n’y aurait pas le moyen pour la faire cesser dans le canton».

La réponse du canton sera de nommer une commission de neuf personnes – la plupart membres de l’administration – pour enquêter à travers le pays par le relais des districts et des communes. En 1837 la commission livre ses conclusions pratiques et morales: les pauvres n’ont pas choisi la pauvreté. Ils la subissent.

En près de deux siècles, beaucoup de choses ont changé. Les pauvres ont même le téléphone mais leur part dans la population reste obstinément la même: «une personne sur treize aujourd’hui disposant d’un revenu inférieur au seuil de pauvreté».

C’est-à-dire, parlons chiffres, 2200 francs par mois pour une personne seule et 4050 pour deux adultes avec deux enfants. Pas de surprise: les familles monoparentales sont particulièrement touchées par la pauvreté ainsi que les personnes seules de plus de 65 ans. Certains métiers comme l’hôtellerie et la restauration, prédisposent à la pauvreté.

Mais ce qui commande notre regard c’est le risque de pauvreté auquel sont exposées près d’un million deux cent mille personnes. A quoi mesure-t-on ce risque: à ce que la statistique appelle le «taux de privation matérielle». Clairement, l’impossibilité d’accéder à une dépense simple. L’Europe, donc la Suisse, fixe neuf exemples et il suffit de ne pouvoir accéder à trois d’entre eux pour entrer dans la catégorie des vraiment pauvres.

Il suffit de peu

Prenons le temps de bien observer les questions posées:

– Pouvez-vous assumer dans le mois une dépense inattendue de 2000 francs?
– Pouvez-vous vous offrir une semaine de vacances par an, hors de chez vous?
– Pouvez-vous assurer que vous n’avez pas d’arriérés de paiement?
– Pouvez-vous manger poisson ou viande une fois tous les deux jours?
– Pouvez-vous chauffer convenablement votre domicile?
– Pouvez-vous utiliser un lave-linge, qu’il soit à vous ou à l’immeuble?
– Pouvez-vous utiliser un téléviseur couleur?
– Pouvez-vous disposer d’un téléphone personnel?
– Pouvez-vous déclarer que vous possédez une automobile?

Rappelons ici la règle posée par la statistique: il suffit de ne pouvoir répondre positivement à trois questions sur neuf pour rejoindre la troupe des pauvres.

Aux dernières nouvelles, cette troupe serait formée de deux-cent-quatre-vingt-mille pauvres soit l’équivalent de la population du canton de Fribourg!

La réponse à cette situation qui fait apparaître la pauvreté comme une forme d’inégalité, c’est ce qu’on appelle d’un vocable immuable: l’aide sociale, une forme de solidarité qu’on approuve ou qu’on déteste selon sa place dans la société. En paraphrasant Felix Wolfers, co-président de la Conférence suisse des institutions d’aide sociale (CSIAS) (2) il y a plus de chance que les trois-cent-trente mille millionnaires que compte la Suisse désapprouvent cette dépense à l’opposé des deux-cent-cinquante mille (3) qui la reçoivent.

Difficile à expliquer

Sans doute, cette facture a augmenté entre 2005 et 2012 passant de un milliard sept-cent millions à deux milliards quatre-cent millions (4) mais on ne doit pas oublier la part croissante des jeunes dans cette assistance, un cas sur trois!

Enfin, si on regarde cette évolution à travers les cantons on observe dans les années sous revues – de 2005 à 2012 – des variations fortes et difficiles à expliquer.

Dans le canton de Vaud l’aide sociale a pratiquement triplé, passant de 124 à 311 millions. Entre ces deux date-seuil la population a augmenté de près de 80000 habitants pour atteindre 726000 habitants mais les recettes fiscales, qui représentent les deux tiers des «entrées», ont assez peu évolué: 5 milliards 400 millions en 2012.

En regard, la population de Genève a évolué de façon plus modérée pour atteindre 463.000 habitants à la dernière année-seuil face aux 427000 de 2005 soit environ 36000 «genevois» de plus. Ici l’un des éléments-clé c’est le revenu fiscal est particulièrement coquet avec, aux dernières nouvelles, 7 milliards 600 millions. Dans les années sous revue, l’aide sociale a plus que doublé passant de 110,3 à 240,8 millions.

A ce groupe de Romands attentifs aux besoins de leur population pauvre, on doit opposer deux cantons alémaniques qui ont réussi non seulement à contenir mais à réduire la facture sociale entre 2005 et 2012.

Canton champion, Zoug, qui est passé de 106000 à 116000 habitants de 2005 à 2012, est parvenu, dans cet espace de temps, à réduire sa facture sociale de 100000 francs, passant de 13 à 12,9 millions. Citons pour mémoire que le revenu fiscal du canton atteint 641 millions et que sa réserve dépasse le milliard de francs!

Bâle-ville qui boucle notre galerie d’exemple et notre salade de chiffres, a très peu augmenté – 2000 habitants de plus dans le champ de notre enquête – sa population, moins encore sa facture sociale qui passe de 128 à 124 millions pour des recettes fiscales jaugées en 2012 à près de 2 milliards 500 millions.

Les gens des finances cantonales qui n’aiment rien de moins que la comparaison avec leurs collègues d’autres cantons, vont certainement réagir à cette présentation. Que notre analyse les indispose, rien de très étonnant même si ce sont leurs chiffres que nous ayons utilisé.

Le reste, comme ne l’a pas dit Saint-Thomas, c’est une affaire de bonne foi.

Le capitalisme carnassier

Installé au paradis des économistes John-Kenneth Galbraith (1908-2006) nous envoie d’ailleurs une réplique cinglante (6) au capitalisme carnassier qui dévore le travail au seul profit de l’argent.

Essayez d’expliquer autrement la persistance de la pauvreté qui représente, à travers les siècles, bien plus d’une personne sur dix.

Et quel que soit le traitement employé!

En Suisse le combat contre la pauvreté passe marginalement (2 %) par l’aide sociale. En fait ce sont les finances de la sécurité sociale – deux milliards, huit cents millions qui couvrent les dépenses. Rassurons les riches: une part importante de cette dépense est financée, presque exclusivement, en avance sur les revenus du travail t. Mais pour ceux d’en face il y a sûrement quelques milliards à raboter!!!

(1) Par rapport à l’ensemble de la population le pourcentage de pauvres a évolué positivement passant de 9,3en 2007 à 7,7 % en 2012.

(2) Cet institution qui regroupe près de mille membres élaborer des normes visant à équilibrer l’aide sociale distribuée par les cantons et les communes

(3) C’est le chiffre minimum des prestataires de soutien, Arrondi au quart de million là où la statistique évoque deux cents quatre-vingt mille personnes souffrant de privations matérielles

(4) Chiffres arrondis.

(5) En passant de 128 millions à 124. C’est l’un des rares exemples cueillis dans des cantons suisses avec Zoug qui est passé de 12 millions à 11.9. Simple rappel : Zoug entend bien raboter la facture de l’aide sociale même s’il dispose d’un milliard de réserve et que le total de ses charges est établi à un milliard quatre cents millions.

(6) “L’art d’ignorer les pauvres” (Raisons d’agir – Seuil.2000).

 

 

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