Le Temps qui passe…

C’est une constante dans les médias: il faut lire les concurrents pour savoir ce qui se passe dans votre journal préféré.

PAR MARC SCHINDLER

C’est la “Liberté” de Fribourg qui a annoncé que le groupe Ringier avait racheté la majorité du capital du quotidien le “Temps”. Pour ceux qui n’ont pas suivi ce feuilleton: le “Temps” avait été mis en vente en octobre dernier par ses propriétaires majoritaires, les groupes de presse Ringier et Tamedia. En avril, l’éditeur zurichois Ringier, qui détenait 46,25% du journal, a repris les parts de Tamedia (46,25%), devenant l’actionnaire majoritaire, à 92,5%. La Commission de la concurrence a donc donné son feu vert à cette nouvelle concentration dans la presse suisse. La Comco a tranché: un seul propriétaire, c’est mieux.

Vous me direz, ça arrive tous les jours, une entreprise qui en rachète une autre. Pas de quoi fouetter un chat. Sauf qu’un quotidien, ça n’est pas tout à fait une boîte comme les autres. Quand j’étais journaliste à Genève – je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître – il y avait dans cette ville quatre quotidiens indépendants, qui représentaient toutes les sensibilités politiques. J’ai assisté à la mort de deux d’entre eux. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un quotidien de gauche, le “Courrier”, qui survit grâce à ses rares abonnés. Le groupe de presse romand Edipresse, qui contrôlait la “Tribune de Genève”, a retiré ses billes du marché suisse, il y a deux ans, et vendu ses journaux suisses au groupe zurichois Tamedia. Le “Temps” a été partagé entre les deux barons de la presse suisse, Tamedia et son grand rival zurichois, Ringier. C’est donc à Zurich que se décide comment financer ce que les journaux genevois vont offrir à leurs lecteurs.

Le “Temps” est né en mars 1998 de la fusion du “Nouveau Quotidien” et du “Journal de Genève et Gazette de Lausanne”. Ce n’est pas un journal de gauche, il se classe au centre droit, il est bien-aimé des cadres et il se présente comme le quotidien de référence de la Suisse romande et francophone, dans les domaine politique, économique et culturel. Mais, la presse coûte cher. Pour enquêter, rechercher l’information, la vérifier et la diffuser, il faut de gros moyens financiers. Quand la publicité est en baisse, quand les abonnés se font rares, les propriétaires de journaux font comme tous les patrons: ils serrent les boulons. En novembre 2012, la direction du “Temps” avait négocié un plan social avec le syndicat des médias et des journalistes avaient été licenciés. Le quotidien avait cherché de nouvelles recettes en développant son offre numérique et ses boutiques de produits dérivés. Rien n’y a fait: ses deux actionnaires ont cherché à vendre le coûteux fleuron de leur boutique. Un groupe d’amis du “Temps” a bien essayé de réunir les millions nécessaires pour racheter le quotidien. Ringier et Tamedia les ont écartés sans ménagement. Pas sérieux, pas assez d’argent. Alors, l’un des barons zurichois a refilé sa part à l’autre, pour quelques millions.

Vous pensez que rien ne va changer pour le “Temps”? Naïfs que vous êtes! Quand les vaches sont maigres, le fermier va chercher où trouver des sous. Le “Temps” loue à prix d’or des locaux situés dans la gare de Genève. Alors, les patrons de Ringier, qui ne sont pas des philanthropes, veulent déplacer les journalistes à Lausanne, à la rédaction de “L’Hebdo”. Et tant qu’à faire, ils veulent favoriser les synergies, en clair regrouper les deux rédactions et les forcer à collaborer. Ce qui arrive au “Temps”, c’est un phénomène qui frappe tous les médias: si on ne se concentre pas, on va mourir. Depuis des années, des experts fédéraux se penchent sur la presse suisse. Leur constat est sans appel: «En 2001, on dénombrait dix grands groupes de presse, contre sept en 2009; leur chiffre d’affaires global a passé de 6,9 milliards ( en 2001) à 5,9 milliards de francs (en 2009). Les éditions en ligne des principaux quotidiens alémaniques ont désormais un impact plus grand que les éditions sur papier. Globalement, en Suisse, la presse est prise dans une spirale négative. Le lectorat diminue, de même que les recettes publicitaires. Il est impossible d’en prévoir la fin. Dans ce contexte, il il convient de s’interroger sur la durabilité du financement d’une information de qualité, primordiale pour la formation de l’opinion».

Vous avez compris? Si vous voulez continuer à lire de bons journaux, il faudra trouver des sous! Ca tombe bien, la Commission fédérale des médias a justement des idées. Les journaux bénéficient d’une TVA à 2%. La COFEM propose d’en faire profiter tous les médias. Subventionner ses concurrents, pas vraiment un cadeau pour le “Temps”. Selon le “Courrier”: «Quant à l’aide indirecte de la Confédération – consistant en cinquante millions de francs annuels, versés à La Poste qui doit réduire d’autant ses coûts pour la distribution de journaux –, la commission suggère de la supprimer totalement. Selon elle, cette aide n’est «pas nécessaire» et «n’est plus guère efficace». Ca va coûter plus d’un million au “Temps”! «En compensation, la COFEM propose de soutenir l’Agence télégraphique suisse (ATS). Par cette subvention, la commission attend de cette agence qu’elle fournisse ses services à un meilleur prix aux journaux suisses. En outre, des aides à la formation des journalistes et à des «projets d’innovation» (par exemple la création de contenus multimédias) sont envisagées.» Comme chacun sait, les conseillers ne sont jamais les payeurs et les promesses n’engagent que ceux qui y croient!

On peut vraiment craindre que l’avenir du “Temps” soit une version multimédias de l’info fastfood concoctée à Lausanne par les maîtres-queues à la sauce Ringier. Dites-moi que je me trompe!

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