Vous connaissez beaucoup de détenus qui sont accueillis par une forêt de micros et de cameras à leur sortie de prison?
PAR MARC SCHINDLER
Je vous parle de Jérôme Kerviel, le trader qui a été condamné à 3 ans de prison pour avoir fait perdre 5 milliards à la Société générale. Il vient de sortir de cellule et a bénéficié d’un bracelet électronique. Le Parquet avait refusé cette mesure de clémence, parce que Kerviel ne remplissait pas les conditions. Mais son avocat a su faire jouer la pression médiatique. Si les 11 000 détenus qui portent un bracelet électronique avaient eu un avocat aussi talentueux, les prisons françaises seraient vides!
Jérôme Kerviel, c’est le Robin des Bois du combat des braves gens contre les banques. Pas étonnant qu’il soit populaire dans un pays où le candidat François Hollande déclarait: «Mon ennemi, c’est la finance». Kerviel, un brave garçon, égaré dans les salles de marché où les as de la spéculation jonglent avec leurs ordinateurs pour faire valser les milliards. Bien sûr, il a pris des risques, comme les autres, et il a fait gagner des milliards à la Société générale. Et puis, patatras! Le marché s’est retourné et le malheureux Kerviel s’est retrouvé dans les chiffres rouges – rouge foncé! Il a essayé de se refaire, mais trop tard, il a plongé. Et la Société générale a perdu 5 milliards. Pour sa défense, Kerviel a montré les dents: mes patrons savaient très bien ce que je faisais. Tant que leur faisait gagner de l’argent, ils n’ont rien dit. Je suis une victime du système!
Ca, c’est la belle histoire que notre Robin des Bois de la finance a vendu aux journalistes. Mais, devant le tribunal, difficile de raconter des fables. Quand le procureur lui avait demandé s’il avait créé des opérations fictives dans le système informatique pour masquer ses pertes ou des gains, Kerviel avait avoué. Il avait aussi reconnu qu’il avait fourni à ses supérieurs des explications non-crédibles et qu’il avait fabriqué de faux mails. Quand la juge lui avait demandé s’il avait le sentiment de défier le système, Kerviel avait répondu candidement: «Absolument pas. Dans les salles de marché, c’est un peu le sport national de planquer [ndlr : une partie de ses activités]. Tout le monde le fait, moi peut-être plus que les autres, mais j’essayais de rapporter le plus d’argent possible à la banque». On vous le répète: Candide au pays des requins de la finance!
Mais notre trader fou s’était payé les services d’un maître du barreau, Me Metzner, qui avait fait feu de tout bois pour prouver au tribunal que tout le monde à la banque connaissait les combines de Kerviel, que les contrôleurs avaient regardé de l’autre côté quand ils avaient eu des doutes. L’avocat avait transformé le procès de Kerviel en procès du système bancaire. Son client n’est, après tout, qu’un génie incompris de la finance. Quel talent! Les juges avait condamné Kerviel à 3 ans de prison pour «abus de confiance», «faux et usage de faux» et «introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé» et au remboursement des 5 milliards perdus par la banque. Evidemment, Kerviel avait fait appel et il avait obtenu que ce remboursement absurde soit supprimé. Mais la Société générale avait été absoute et elle avait fait rouler quelques têtes de cadres négligents. Fin de l’affaire Kerviel? Pas du tout. Notre Robin des Bois a de la ressource.
A la suite d’un pari avec un copain journaliste, Kerviel avait été reçu par le pape en audience publique sous l’oeil des cameras. Puis, il avait décidé de marcher de Rome à Paris, en martyr de la justice. Succès médiatique assuré pour Kerviel, devenu barbu et quasi christique, qui voulait alerter l’opinion contre «la tyrannies des marchés». Le petit soldat de la finance s’est transformé en combattant pour la bonne cause. Il est devenu une icône: Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche à l’élection présidentielle de 2012, s’est félicité de la libération de l’ex-trader Jérôme Kerviel mais il estime que « le combat pour la vérité et la justice continue » face à « l’oligarchie financière » dans cette affaire. Grâce à son bracelet électronique, Kerviel va exercer ses talents dans une société d’informatique en espérant une remise de peine. Mais on peut compter sur lui pour jouer de son image médiatique.
En écrivant cette chronique, je sais que je ne vais pas me faire des amis. Jouer à l’avocat du diable contre Jérôme Kerviel, c’est gonflé. Tant pis. Comme dit la sagesse populaire: qui n’entend qu’une cloche, n’entend qu’un son. Maintenant, vous aurez entendu un autre son!