Au lendemain d’un scrutin sur l’assurance maladie plutôt encourageant, la question des moyens de rebondir peut s’avérer épineuse, mais revêt une certaine urgence.
PAR PIERRE KOLB
Parce que rebondir, il le faut. Des doutes ont été émis sur l’ampleur de la progression de la gauche. On peut le comprendre compte tenu d’un objectif parfois articulé de 40 % de oui, qui n’a pas été atteint, certes: mais avec 38,1 % on n’en est pas loin, et sans doute une analyse poussée des résultats devrait permettre de dire dans quelle mesure la gauche aurait pu faire mieux. A l’heure des résultats, la droite avait besoin de minimiser la progression de la gauche, consciente des artifices ayant concourru à son propre succès, et portée par l’illusion de fermer ce dossier pourri.
Le conglomérat des assureurs en tout genre et des partis de droite a tout de suite compris la trouée susceptible de le remettre dans l’inconfort: cette bascule des cantons de Vaud et de Genève dans le camp des oui, forgeant avec les pionniers jurassiens et neuchâtelois un ensemble romand auquel il ne manque, vu les bons résultats du Fribourg francophone, que le Valais romand. Cette trouée pose les bases d’une revendication fédéraliste de caisse publique régionale.
Les arguments en sont connus. Jean-Claude Crevoisier les a rappelés dans « Courant d’Idées« , notamment ce problème que les choix alémaniques s’imposent systématiquement à l’ensemble du pays dans la plupart des projets importants de société. D’où la pertinence d’une démarche en vue de créer une ou plusieurs caisses publiques cantonales, ne serait-ce qu’au titre d’expériences pilote.
C’est une entreprise ardue, d’autant qu’il va forcément falloir construire un front politique différent. Une entente nouvelle est nécessaire. De son côté, le conglomérat du non, qui a manifesté dimanche déjà son hostilité à toute mise en cause du statu quo, cherchera à attiser les facteurs de division. On sait déjà qu’au sein du Parti socialiste, moteur central du projet de dimanche, des voix se sont fait entendre pour déplorer les diverses campagnes perdues par la gauche: des gens obnubilés par le seul résultat final des campagnes de votation, comprises comme des compétitions; des gens pourtant incapables de trouver des alternatives, alors que le fait de porter la lutte sur le terrain régional en serait manifestement une.
D’autres obstacles peuvent surgir, tels des divergences entre Alémaniques et Romands. Qui ne voit pourtant que l’espace romand, où seul le Groupe mutuel peut dicter sa loi, combien de temps encore on ne le sait pas, qui ne voit que c’est le meilleur terrain où relancer l’affaire?
Au demeurant, Pierre-Yves Maillard, que l’on sait favorable à cette alternative, n’en a pas caché les difficultés, et a même évoqué une autre priorité, quasiment ignorée des commentateurs: empêcher les caisses de payer des élus et de financer des partis politiques. Il suggère de lancer une initiative populaire qui mette fin à ce «lobbyisme obscène», pour reprendre son expression. Dans les deux cas – réforme de la LAMAL ouvrant la porte aux caisses publiques cantonales et interdiction du trafic d’influence parlementaire – la voie des initiatives populaires s’impose dans la mesure où le Parlement fédéral paraît incapable de franchir ces pas.
Peu avant le scrutin, un Zuricois, Jürg Stahl, a fait passer au National une motion qui met en cause le libre choix du médecin. Avec ce politicien les choses sont claires: son adresse professionnelle est au Groupe Mutuel. On disait à l’instant que le conglomérat visait essentiellement le statu quo; sans doute, mais il a ses snipers et eux vont plus loin, plus en arrière. L’argent des assurés y pourvoit. La démonstration est faite d’une nécessité de s’attaquer en priorité au lobbyisme obscène.