La France de la castagne


Non, même si c’est la saison en Cévennes, je ne vais pas vous parler de châtaigne, mais de baston, de bagarre, de méchant coup.

PAR MARC SCHINDLER, Alès (France)

Les Français n’ont jamais été réputés pour leur capacité à écouter l’avis des autres. Quand on leur parle tolérance envers autrui, ils oublient cette pensée attribuée à Voltaire: «Je déteste ce que tu dis, mais je me ferais tuer pour que tu puisses toujours le dire». Ils préfèrent Paul Claudel, qui proclamait: «La tolérance, il y des maisons pour ça». Le compromis pour régler un problème, en France, c’est presque un gros mot. En Allemagne, aux Etats-Unis, dans les pays scandinaves et en Suisse, c’est le moyen le plus civilisé de faire de la politique. Je ne sais pas si cela tient à l’histoire de France – la Terreur comme arme de gouvernement – ou à l’évolution des mentalités. Mais en politique et dans les médias, la France a une culture de la castagne. On ne cherche pas à convaincre, mais à tuer à coup de phrases assassines et d’attaques personnelles. Vous vous souvenez de Sarkozy, qui voulait pendre Villepin à un croc de boucher? Ou de Jean-Luc Mélanchon, qui traitait François Hollande de «capitaine de pédalo» ? ou encore du député Yves Jégo qui comparait François Fillion à «un pitbull avec une tête de Snoopy».

A la radio et à la télévision, le débat, c’est du catch, coco: il faut que ça cogne et que ça saigne! Alors pour faire le spectacle, on invite les grandes gueules extrémistes, genre Eric Zemmour ou Mélanchon. Dialoguer, convaincre, pas question. On se croirait dans «Les tontons flingueurs»: «Aux quatre coins de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon Puzzle. Moi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus:  je dynamite, je disperse, je ventile!» Le public adore et en redemande. Ca vous rire? Moi pas.

Cette intolérance et ce mépris pour l’autre, cela empêche le monde politique français de négocier pour trouver des solutions aux graves problèmes, comme le chômage, la relance de l’économie ou l’aménagement du territoire. Le gouvernement, le patronat et les syndicats ne cherchent pas le consensus, mais l’affrontement. Face à la contestation, le scénario est écrit d’avance: manifestation, débordement, répression. Faute de dialogue, on envoie les flics casqués et armés contre les manifestants. Des exemples? Les licenciés de l’usine de pneus Continental, qui saccagent une sous-préfecture, les bonnets rouges bretons qui détruisent les portiques de l’écotaxe, les écologistes qui fauchent les plantations d’OGM.

En France, il ne fait pas bon être chômeur ou jeune sans qualification dans les banlieues. Pour les jeunes Français qui ont bac+5 et qui décrochent un contrat à durée déterminée, payé au Smic, l’exaspération conduit parfois à la contestation violente: on ne m’écoute pas, on me rejette, on me propose un boulot sans avenir, alors je vais détruire cette société. C’est le rêve du Grand Soir, comme leurs grands-parents en mai 68. Il y a de quoi être en colère quand le monde politique continue ses petits jeux de pouvoir (Sarko, le retour), quand des députés fraudent le fisc (60 parlementaires impliqués), quand des grands patrons s’offrent une retraite en or (21 millions pour le PDG d’EDF-Suez). Les hommes politiques vivent dans une bulle: quand on gagne 10000 euros par mois, pas facile de comprendre le désespoir des Français qui vivent avec 500 euros.

Le gouvernement est autiste: il est paralysé par le Front national qui ratisse large à coup de slogans démagogiques. Il ne veut pas entendre le ras-le-bol des Français, qui refont le monde au Café du Commerce: on a essayé la droite, puis la gauche, alors pourquoi pas Marine Le Pen? Le gouvernement ne comprend pas, comme le souligne le “Monde”, que «la défense de l’environnement, des espaces et espèces protégés, se confond avec un discours altermondialiste de refus des logiques de productivité libérale et réunit une minorité déterminée, héritière des éco-guerriers anglo-saxons et des black blocs anarchistes». Qui vous parle d’écologie? C’est de la société capitaliste que les altermondialistes veulent la peau! La jacquerie est dans la rue! Il n’y a pas que les Verts qui sont dépassés par les «professionnels de la contestation». Le président, son premier ministre et le ministre de l’Intérieur ont été aux abonnés absents pendant deux jours après la mort d’un militant écolo tué par la police, lors d’une manifestation contre un projet de barrage.

Dans un éditorial intitulé «Un terrible gâchis», le “Monde” pose la question: «Comment est-il possible que l’on ne puisse, en la matière, aboutir à un débat démocratique maîtrisé?» Le pire n’est jamais sûr, surtout en politique. Mais les crispations de la société française et l’affrontement des ambitions, à droite comme à gauche, ne donnent pas un signe d’encouragement.

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