Une si grande tristesse. La sauvagerie meurtrière du 7 janvier 2015, son lendemain, son surlendemain. Les manifestations dessinent une réplique dans la grandeur humaine et la fraternité , qui ne saurait abolir la tristesse.
PAR PIERRE KOLB
Place à la réflexion, disent certains, à l’analyse en vue d’agir, disent encore d’autres, qui semblent parvenir à le faire. Mais les images sont encore là. On ne le voudrait pas qu’à l’instar du 11 septembre, elles repassent en boucle. Comment verra-t-on à l’avenir un store de magasin qui se lève? Une nouvelle signalétique s’installe, en concurrence à des évocations bloquées. Faute d’évoquer peut-on se mettre à invoquer? en puisant dans le patrimoine historique: les Béatitudes ou, dans cette lignée, François d’Assise:
Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix!
Là où il y a de la haine, que je mette l’amour.
Mais c’est aller vite en besogne, direz-vous, vu la colère que d’abord ces événements suscitent. Et puis, «Charlie Hebdo», brochette d’anticléricaux: notre référence ne va-t-elle pas ressembler à une récupération calotine? Pas du tout. Il s’agit de se mettre dans des mots appropriés à tous, à celui qui croyait au ciel comme à celui qui n’y croyait pas. Avec cette allusion nous nous retrouvons en France, patrie culturelle et aujourd’hui capitale de douleurs, allusion volontaire, maintenant, à Eluard auquel nous emprunterons quelques strophes de son plus célèbre poème. Adolescents, au temps des plumes et des crayons, ceux qui avaient eu en classe Liberté le copiaient pour ceux qui ne l’avaient pas eu. Ce poème qui pendant la deuxième Guerre mondiale avait été parachuté sur la France par des avions anglais. Cette réponse au nazisme, à rappeler aujourd’hui où l’on voit ces fanatiques, au-delà de leur pitoyable phraséologie islamiste, se comporter en nazis:
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
***
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
***
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.