Lettre ouverte à M. Didier Burkhalter


Dans la nuit du Réveillon 2014-2015, devant les caméras de la télévision, Didier Burkhalter achevait son année présidentielle en s’emparant du micro aux côtés du chanteur suisse Bastian Baker. Le duo entamait une ballade de Bruce Springsteen. Cette prestation commune (improvisée?) a interpellé le chanteur et artiste-peintre Jean-Pierre Huser. L’auteur de “La Rivière” a écrit une lettre au chef de la diplomatie helvétique. Réd. 

Monsieur le Conseiller fédéral,

J’ai été très surpris et satisfait de vous entendre et de vous voir par hasard au soir du 31 décembre à la télévision de Neuchâtel, vous qui avez été le Président de la Confédération 2014.

“Ma mère était du petit village de Buttes”.

J’ai trouvé votre engagement très positif dans la politique de notre pays. Vous êtes extrêmement efficace, me semble-t-il, dans votre façon brève et concise de donner au pays sa place dans le monde, tout en le préservant et en restant extrêmement ouvert. Vous êtes aussi très efficace dans votre façon d’évoluer dans les rapports internationaux, pour ne pas dire européens, auxquels notre Suisse légèrement malheureuse, dirais-je, doit se mesurer avec sa détermination populaire très discutable, mais toujours avec son pragmatisme, son matérialisme et son esprit militaire de légende.

Je ne fais pas de politique.

Par contre, la fin de votre entretien fut pour le moins étonnante suite à la question du journaliste, à savoir: “que faites-vous de vos moment de loisirs, Monsieur le Président de la Confédération?”.

Vous avez répondu aussitôt d’ailleurs, et là j’ai été encore plus étonné, je cite votre réponse de mémoire: “quand j’ai un petit moment j’adore écouter “The River” de Bruce Springsteen, “La Rivière” en français”. Sur quoi vous avez tout de suite enchaîné pour faire la promotion du jeune chanteur suisse qui ne s’exprime d’ailleurs qu’en anglais: Bastian Baker.

Mais là j’attends un peu qu’ on m’explique…

En tant que chanteur moi-même, plutôt contemporain du “Boss”, et ayant enregistré à Nashville “Les ouvriers de la Montagne” avec l’un de ses musiciens, ceux de Bob Dylan ainsi que ceux d’Elvis, mais ceci dans les années 80, j’ai été très heureux qu’un homme d’État en Suisse Romande, se félicite de l’existence d’un artiste tel que Bastian Baker. Artiste produit d’ailleurs par quelqu’un de très intelligent qui fait le travail comme on doit le faire, et c’est bien la première fois d’ailleurs que je vois ça en Suisse Romande, alors un grand bravo à Monsieur Delarive, son équipe et son artiste!

Mais là j’attends qu’on m’explique…

En fait vous avez réalisé dans ce pays quelque chose de tout à fait nouveau pour colorer votre image politique. Aussi auriez-vous l’amabilité de m’expliquer, en tant que principal responsable du pays en 2014, le fondement exact de ce type d’engagement pour ne pas dire même de courage.

Un Président de la Confédération Helvétique peut-il, dans un discours important de fin d’année devant ses Confédérés, faire ainsi de la publicité en nommant le produit comme on le ferait pour un parfum ou que sais-je encore?

Et là j’attends qu’on m’explique…

Dois-je comprendre, par votre attitude généreuse et ouverte, qu’une grande porte pourrait s’ouvrir ici en Suisse pour qu’un jour, peut-être, ce petit pays si propre et si beau, au milieu de l’Europe, devienne par l’ intermédiaire de son gouvernement et de certains artistes, une sorte d’Etat américain?

Rassurez-vous, Monsieur Burkhalter, je comprends tout à fait qu’on puisse envier les artistes d’un tel “Marché Mondial”, moi le premier d’ailleurs, même si je passe dans 60 radios américaines depuis 30 ans “Le Pays d’en Haut” où “La Rivière” (en anglais The River…) et d’autres titres dans ma langue maternelle.

Je rajouterai, si vous le permettez, que les chansons du grand Bruce Springsteen, appelé “The Boss” font partie de la tradition d’artistes extraordinaires qui, à l’époque, on pris d’énormes risques comme Woody Guthrie, Pete Seeger et, plus tard, l’immense Bob Dylan pendant la guerre du Vietnam, comme toute la chanson engagée contestataire américaine de cette époque. Bien sûr, pour ne pas parler du jazz en son temps, de Chicago à New-York en passant naturellement par la Nouvelle Orléans. Musique essentiellement noire, découverte et financée presque totalement par les plus grands gangsters d’Amérique, Al Capone et j’en passe.

Mais là, Monsieur Burkhalter, nous sommes ici dans une petite région du monde qui fonctionne, comme vous le savez, sur les bases d’un tout autre exercice artistique. Pays d’ailleurs, qui aime remplacer “le laisser-faire” par le “bien-faire”. Cela représente à la base, beaucoup moins de risques!

Ainsi ce très bien-faire helvétique, à mon humble avis, rassurez-vous, ressemble davantage à des copies, sans parfum, propre en ordre, et en dehors d’un aspect technique et scolaire où même pseudo avant-gardiste, il devient la plupart du temps comme une performance artistique sans gravité, sans nuances, sans engagement, sans profondeur réelle. Cela ne tient pas ici à un manque d’artistes, bien sûr, comme vous devriez le savoir, il y en a ici comme partout. Le problème est ailleurs.

Et là j’attends depuis longtemps qu’on m’explique…

Cher Monsieur le Président de la Confédération 2014, malgré tout le grand respect que je puisse avoir pour vous, je suis très sincère, et malgré ma très simple vie d’artiste, je voudrais vous dire encore quelque chose qui ressemble, me semble-t-il, à l’une de mes chansons “L’art ne se fait pas avec de l’argent”, mais “on peut faire de l’argent avec de l’art”. Mais là, il y a de très très gros risques auxquels je n’ai jamais, mais jamais obtenu de réponse de la part de responsables culturels de notre pays.

Et j’attends toujours là qu’on… m’explique…

Merci!

Dans l’attente, veuillez recevoir, cher Monsieur, l’expression de tout mon respect ainsi que mes voeux de bonne année.

Jean Pierre Huser

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Un commentaire à “Lettre ouverte à M. Didier Burkhalter”

  1. Heizmann 2 février 2015 at 08:24 #

    …. C’est curieux chez les chanteurs ce besoin de faire des phrases… Mais là j’attends qu’on m’explique…

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