Le torchon brûle entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et les médias français.
PAR MARC SCHINDLER, Alès
Le CSA, c’est le gendarme de la radio et de la télévision en France. Depuis deux ans, il est présidé par Olivier Schrameck, un haut fonctionnaire proche du parti socialiste. Vieille tradition française: nommer une personnalité politique à un poste sensible. Le président du CSA est à la tête d’un collège de six membres, des journalistes et des fonctionnaires, désignés par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, selon un subtil dosage politique. Sa feuille de route est de conduire le CSA vers une plus grande indépendance, notamment en récupérant le pouvoir de nomination des PDG de l’audiovisuel public. Selon l’entourage de François Hollande: «Le CSA n’a pas vocation à contrôler les médias. Pour nous, les choses sont claires. Nous avons rompu avec les pratiques de nos prédécesseurs». Bien entendu, dans l’opposition, personne n’en croit un mot.
Le CSA vient d’envoyer une volée de bois vert aux radios et aux télévisions après les attentats terroristes du début de janvier. Vingt et une mises en demeure et quinze mises en garde, pour avoir diffusé des images et des informations permettant d’identifier les terroristes, de mettre en danger la vie des otages et montrant les assauts des forces de l’ordre. Pas de sanction, mais une sérieuse épée de Damoclès au-dessus de la tête de la plupart des chaînes de télévision et de radio qui ont diffusé en direct les attentats de Paris du 7 au 9 janvier. Évidemment, les journalistes contestent cette mise en demeure. Selon selon eux, ces sanctions sont «parfaitement injustifiées». Le directeur de la rédaction de France Info affirme même: «ils nous reprochent en quelque sorte d’avoir fait notre métier, c’est-à-dire d’avoir dit: il se passe quelque chose, il y a des coups de feu».
Les directeurs de l’information des médias audiovisuels montent sur leurs grands chevaux. Ils ont envoyé une lettre ouverte au CSA: «La liberté de la presse est un droit constitutionnel. Les journalistes ont le devoir d’informer avec rigueur et précision. Le CSA nous reproche notamment d’avoir potentiellement “attenté à l’ordre public” ou pris le risque “d’alimenter les tensions au sein de la population”. Nous le contestons.» Leur argument massue: «Comment peut-on imaginer que le CSA veuille en 2015 renforcer encore le contrôle sur les médias audiovisuels français régulés quand l’information circule sans contrainte dans la presse écrite, sur les chaînes étrangères, tous les réseaux sociaux et les sites Internet. N’est-ce pas nous placer dans une situation d’inégalité devant la loi?»
Comme des millions de Français, j’ai passé des heures devant mon écran TV, au début janvier, pour vivre en direct les événements dramatiques. J’ai assisté au meurtre du policier après la tuerie de « Charlie Hebdo », à la traque des terroristes, à l’assaut du GIGN contre l’épicerie cacher. Comme ancien journaliste, j’ai apprécié le professionnalisme de mes confrères. Mais j’ai sursauté quand j’ai vu un cameraman coller aux forces de police préparant l’assaut. Ou quand j’ai entendu un journaliste donner les noms des terroristes et un autre, interviewer en direct le preneur d’otages. Et je me suis posé la question: qu’est-ce que j’aurais fait, à leur place? Quand l’actualité galope, le journaliste n’a pas le temps de réfléchir. Son métier, c’est de rechercher l’information, de la vérifier et de la diffuser le plus vite possible. En tous cas, avant ses concurrents. Vérifier? On voit que vous n’avez jamais vécu l’actualité en temps de crise!
Comme tous les anciens combattants du journalisme, j’ai quelques souvenirs «de guerre». Pendant la guerre du Golfe, j’ai renoncé à diffuser les images insoutenables, filmées par la TV de Sadam Hussein, des centaines de cadavres de civils irakiens carbonisés par un missile allié. Le 11 septembre, j’ai assisté en rédaction au travail de mes confrères qui commentaient en direct l’effondrement des tours jumelles de New York. On a beau avoir des années de métier, qui vous ont appris à décoder les images. Dans ces moments-là, on est, comme vous, hébété par ce qu’on voit, en se demandant si c’est la réalité ou la fiction!
Mais l’urgence n’est jamais un bon argument pour excuser des dérapages et des erreurs. Je peux comprendre la réaction de mes confrères. Mais ils ont tort d’accuser le CSA d’être le flic des médias. Parmi ses missions: «Le suivi des programmes est un élément important de la régulation. Il s’agit pour le Conseil de contrôler le respect de l’application des lois, des règlements et des engagements pris par les opérateurs. Il a pour but de veiller à la sauvegarde de principes fondamentaux comme le respect de la dignité de la personne humaine.» Le CSA pose de vraies questions qui dérangent les journalistes: est-ce que la couverture médiatique exceptionnelle a mis en danger la vie des otages? Est-ce qu’il fallait diffuser en boucle les images violentes? Est-ce qu’il fallait donner la parole aux djihadistes? Est-ce que les médias ont gêné l’action de la police? A ces questions légitimes, que vous vous posez aussi, il n’y a pas de réponse tranchée, mais une appréciation des faits. Il faut toujours se souvenir de cet aphorisme d’Oscar Wilde: «La vérité pure et simple est très rarement pure et jamais simple».
Les Indignés du PAF font la même réflexion. Le sujet sera à l’ordre du jour des prochaines Assises du journalisme en France.
http://blogs.mediapart.fr/blog/les-indignes-du-paf/180215/face-aux-critiques-du-csa-les-medias-crient-la-censure-et-oublient-leur-public
Merci Christian de m’avoir signalé les Assises du journalisme en France. Si tu y participes, merci de me faire part des discussions et des prises de position des indignés du paf.
Cordialement
La CSA possède quand même un pouvoir énorme. C’est une bonne chose, même si je comptais lutter contre ces instruments de contrôle, un temps. Les journalistes ne risquaient pas grand chose, ils savaient ou ils devaient aller, ce n’est peut-être pas le cas de tous.