Les musulmans, des citoyens comme les autres?

Les musulmans français sont-ils des citoyens comme les autres? 

PAR MARC SCHINDLER, Alès (France)

Mais, bien sûr! C’est le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve qui l’affirme: «Il n’existe qu’une communauté, c’est la communauté nationale. Je parle d’ailleurs des Français musulmans, et non des musulmans de France. Les responsables publics ont le devoir de s’en tenir au contenu de la loi et des principes républicains, sans jamais chercher à dévoyer ni les principes ni la loi.» Ces fortes paroles sont relayées par Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman: «l’identité, ce n’est pas la religion. L’identité réelle, c’est être un citoyen, un humain, régi par des lois, des devoirs, qui appartient à une société d’êtres humains qui se reconnaissent». Sauf que, dans la vie de tous les jours, ce beau principe se heurte à la réalité: il vaut mieux s’appeler Pierre que Mohammed lors d’un contrôle de police ou quand on cherche du travail. En janvier, il y a eu presque autant d’actes anti-musulmans que l’an passé. C’est aussi pour éviter les amalgames et les dérapages que le gouvernement veut «consolider un islam fidèle aux valeurs de la République». En clair, «il veut réformer l’organisation institutionnelle du culte musulman et bâtir une instance qui représente mieux les musulmans en France.»

Le débat n’est pas seulement français, il existe aussi en Grande-Bretagne. Bien sûr, personne ne demande aux musulmans britanniques d’être fidèles aux valeurs républicaines. Pour la bonne raison que la Grande-Bretagne n’est pas une République et que la laïcité ne fait pas partie de ses valeurs. La reine est le chef de l’Eglise anglicane et les signes distinctifs des religions ne sont pas interdits. A Londres, on croise des agents de police sikhs qui portent le turban. Mais, à Londres comme à Paris, la même question est posée: les musulmans sont-ils vraiment des citoyens comme les autres? Dans le quotidien “The Guardian”, Suzanne Moor pose la question qui fâche: «Pourquoi nous interrogeons-nous sur la loyauté des musulmans britanniques? Nous ne le demandons à personne d’autre». La BBC vient de faire un sondage d’opinion. Les résultats sont ambigus: 95% des musulmans se sentent loyaux envers la Grande-Bretagne, mais on n’a pas posé la question à l’ensemble de la population. Plus inquiétant: 27% des musulmans interrogés ont de la sympathie pour les motifs des terroristes qui ont attaqué Charlie Hebdo! «Qu’est-ce que cela signifie? Un quart de nos musulmans vont nous décapiter dans notre lit? Le marchand turc qui donne des bonbons à mes enfants est un adepte du culte de la mort? Ce sondage renforce la mentalité nous et eux».

Suzanne Moore enfonce le clou: «Parce que je ne suis pas musulmane, personne ne va tester ma loyauté… Je hais le drapeau britannique et je mets à la casse la famille royale. Mais personne ne me demande de prouver mon attachement à la Grande-Bretagne». Elle affirme qu’elle ne passerait pas le test pour devenir citoyenne britannique. Si elle voulait devenir Américaine, elle devrait prêter serment sur la Bible: «une nation sous l’autorité de Dieu, indivisible, avec la liberté et la justice pour tous». Pour devenir Français, il faut signer la Charte des droits et devoirs du citoyen français, qui reconnaît les principes, valeurs et symboles de la République française, «une et indivisible», accepter le drapeau tricolore, la Marseillaise et la laïcité. Autre pays, autres valeurs!

Pour un Français, la Grande-Bretagne est difficile à comprendre. Pas seulement parce qu’on y conduit à gauche, qu’on est sujet de Sa Majesté et que les valeurs nationales ne sont pas gravées dans la Constitution, puisqu’il n’y en a pas. Mais surtout, parce que la liberté d’expression n’est pas comprise comme en France. Selon Suzanne Moore: «En Grande-Bretagne, nous sommes divisibles et incrédules… quelques-uns d’entre nous ne reviendront pas en arrière sur la liberté d’expression, alors que d’autres sont prêts à accepter que nous ne devrions pas offenser les croyants». En France aussi, après le massacre de “Charlie Hebdo”, des musulmans ont protesté: pourquoi nous demander de condamner les terroristes qui prétendent agir au nom du prophète? Pourquoi nous demander si nous respectons mieux les valeurs de la République que les autres Français? Comme Mabrouck Rachedi, blogueur dans “L’Express”: «Ces injonctions paradoxales se révèlent quand j’entends ici et là des voix exhortant les Français musulmans à s’exprimer d’une seule voix. Mais existe-t-il un groupe de la population française capable de s’exprimer d’une seule voix… ne serait-ce pas inquiétant qu’un groupe de la population ne se s’exprime qu’en fonction de son appartenance religieuse ou communautaire? La pluralité des opinions, c’est la liberté d’expression même, c’est la démocratie, c’est la République. Il faut souhaiter que les Français musulmans (comme tous les Français) continuent de s’exprimer à plusieurs voix».

Décidément, à Londres comme à Paris, les musulmans sont des citoyens comme les autres, égaux en droits et devoirs. Mais comme le dit la sagesse populaire, il y en a qui sont plus égaux que les autres!

Cet article remplace l’article (27 février 2015) de Marc Schindler “Libre de provoquer les Musulmans?”, déjà publié le 16 février 2015 sous le titre “Musulmans en France, il faut renouer le dialogue”.

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