Les anges gardiens du pape

Staline aurait dit un jour: «le pape, combien de divisions?» Oh, à peine une compagnie.

PAR MARC SCHINDLER

Les gardes suisses forment la plus petite armée du monde, 110 hommes en tout. Mais ils portent le plus bel uniforme, dessiné par Michel-Ange, selon la légende: pourpoints jaunes à bandes rouges et bleues, hauts-de-chausses assortis, morion (casque léger aux bords relevés), imposante cuirasse, hallebarde ou épée. C’est le pape Jules II qui a fait appel, en 1505, à des mercenaires suisses, plus fidèles et plus courageux que les soldats des princes italiens. La garde suisse pontificale, c’est le seul service militaire étranger toléré par l’armée suisse, qui met en prison ses ressortissants qui reviennent de la Légion étrangère.

Vous pouvez vous moquer, mais garder le pape, ce n’est pas une partie de plaisir. Il y a le bon côté, le prestige de l’uniforme, la parade, quand les touristes font un selfie à côté de ces gaillards impassibles. Ca, c’est le service d’honneur. Mais les gardes suisses ne sont pas une armée d’opérette. Ils sont formés à la protection du pape, qu’ils accompagnent en civil à Rome et dans ses voyages à l’étranger, en encadrant la papamobile. Ce sont des soldats de milice, commandés par un colonel. Ils dorment en caserne, ils font des marches et s’entraînent au tir. ll faut être suisse, célibataire, avoir entre 19 et 30 ans, mesurer au moins 1,74 m, être catholique-romain, avoir une réputation irréprochable et avoir fait son service militaire en Suisse. Ils ont un contrat de deux ans, renouvelable. Le salaire n’est pas mirobolant, 1200 euros par mois, mais ils ne payent ni loyer, ni impôts et ils disposent de magasins hors taxes pour faire leurs achats. Il faut vraiment avoir la foi: en Suisse, le salaire moyen est de 5600 euros par mois. Difficile de recruter des volontaires pour le pape.

Le nouveau commandant des anges gardiens du pape, Christof Graf, est un vieux de la vieille, il protège les papes depuis 28 ans. Il avait servi sous Jean-Paul II, il a gravi tous les échelons de la hiérarchie, de hallebardier à commandant. Selon le quotidien suisse le “Temps”, qui lui consacre un portrait plutôt complaisant: «il vit dans ses tripes les problèmes qu’ont tous les sous-officiers, les familles et même le quartier suisse… Il a envie de rassembler tout le monde.» A voir la photo du commandant Graf, avec lui, ça ne va pas rigoler: menton carré, regard d’acier, lèvres serrées. Son prédécesseur a été viré sans ménagement par le pape François, en décembre dernier, sans un mot de remerciements pour services rendus. Selon l’hebdomadaire suisse “L’Illustré”, fan du pape François: «Entre le pape latin de 78 ans ouvert, volubile, enjoué, qui a fait de la simplicité sa marque de fabrique, et le soldat germanophone de 43 ans froid et distant, rigide, rugueux, renfermé, en un mot militaire, il y avait un monde, pour ne pas dire un fossé, un choc quasi culturel.» Le pape François a fait le ménage dans la garde suisse comme dans la Curie. Pour sa protection, il a choisi quelqu’un qu’il connaît bien et avec lequel il a partagé ses repas, lors de voyages.

Pourtant, commandant de la garde suisse, ce n’est pas un job de tout repos. La sécurité du Saint-Siège est assurée par les gardes suisses, les gendarmes du Vatican et la police italienne. Entre ces trois corps, c’est une guerre sourde. Les pros italiens de la sécurité ont accusé les gardes suisses d’amateurisme, lors de l’attentat contre Jean-Paul II, en mai 1981: le respect dû au pape leur interdisait de lui tourner le dos, ils n’auraient pas vu ce qui se passait dans la foule! Mais, le pire, c’est ce qui s’est passé le 4 mai 1998: le nouveau commandant Estermann et sa femme sont tués par un garde suisse, qui se suicide. L’enquête du juge de l’Etat du Vatican conclut à un coup de folie du caporal Tornay, en apprenant qu’il serait privé de la médaille Benemerenti, parce qu’il n’était pas rentré une nuit à la caserne. Sa mère n’en croit pas un mot, malgré une lettre de son fils reçue après le drame. Une contre-enquête montre les lacunes de la justice vaticane.

Double meurtre au coeur du Vatican! Aussitôt, les théories du complot fleurissent. «Meurtres au Vatican: L’affaire Estermann» de Bernard Lecomte évoque des rivalités entre services de sécurité, une affaire de moeurs pour les uns, rumeurs d’espionnage pour les autres. Selon l’ancien magistrat italien Ferdinando Imposimato, qui publie un livre-choc («Vatican, une affaire d’Etat»), Estermann aurait été une taupe de la Stasi, la police politique de la RDA, infiltrée au sein du Vatican. Il aurait participé à l’attentat contre Jean-Paul II et renseigné les services secrets de l’Est sur les actions du pape. Estermann aurait été démasqué et liquidé «dans le cadre d’une mise en scène destinée à profiter de l’inimitié notoire entre les deux hommes.» Spéculations, rumeurs invérifiables. Comme toujours dans ce genre d’affaires, ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui ne savent rien se répandent dans les médias. Les secrets d’Etat du Vatican sont les mieux gardés du monde. Comme le disait le cardinal Sodano, deux jours après le meurtre du commandant Estermann: «Les nuages d’un jour ne peuvent obscurcir un ciel de 500 ans».

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